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Alessandro Deljavan inaugure le 34e Festival Chopin – L’imagination au pouvoir – Compte-rendu

34ème édition ... Les années passent mais s’il est une qualité que le Festival Chopin de Bagatelle continue de soigneusement cultiver c’est bien la curiosité envers des interprètes, souvent jeunes (1), peu connus du grand public. Confiée à Alessandro Deljavan (photo, 30 ans), la soirée inaugurale du Festival 2017 en est une parfaite illustration. Avec l’intégrale des Etudes de Chopin, le pianiste italien (né dans la péninsule d’un père iranien et d’une mère italienne, il a entres autres été formé au Conservatoire Verdi de Milan et de 2005 à 2013, dans le cadre de la célèbre Académie du Lac de Come sous lu tutorat de William Grant Naboré) n’a pas choisi la facilité. Crâne lisse, barbe fournie – et mitaines noires en dépit d’une température déjà très estivale ! – : son physique et son entrée sur la scène de l’Orangerie ne passent pas inaperçus ; son approche de la musique non plus. Amateurs d’interprétations prudentes, consensuelles, sans enjeu, passez votre chemin. Deljavan est de ceux qui font des choix, et les assument !

Dès les Trois Nouvelles Etudes placées en tête de programme les choses sont clairement posées mais, pour celui qui n’a pas encore fait l’expérience d’un récital par cet artiste – ce qui est notre cas –, ces trois pièces peuvent sembler excessivement sollicitées tant il en sonde le détail – les choses prendront leur sens a posteriori. Une manière d’indiquer à l’auditeur que le chemin suivi ne sera pas celui habituellement emprunté ...
Etudes op. 10 et 25 : avec le déploiement de l’Etude en ut majeur, impressionnante de maîtrise et de clarté, commence un grand voyage, et quel - mazette !  Deljavan est doté de moyens techniques hors du commun et n’hésite pas tout au long des deux cycles à exalter le coup de génie de Chopin dans ce qui fait figure d’acte de naissance de la virtuosité pianistique moderne, mais jamais on ne saurait lui reprocher de céder à la performance sportive, ni à l’ivresse de tempi tgvesques. Il préfère mettre son fantastique outil au service d’une conception incroyablement fouillée, appuyée sur une main gauche d’une présence et d’une expressivité bluffantes. Pas une interprétation « classique » de Chopin – vraiment pas ! – certes, mais le foisonnement polyphonique de la proposition se souvient pourtant de l’amour du Polonais pour la musique de Bach. Bach, auteur qui occupe d'ailleurs une place de choix dans l'immense répertoire du pianiste.

Alessandro Deljavan © Max Pelagatti

Deljavan : c’est l’imagination au pouvoir – jamais le truc, le système ou l’effet – ; une imagination nourrie du risque de ce moment unique qu’est le concert. On entendrait bailler un moustique dans l’Orangerie : scotché, l’auditoire découvre dans chacune de ces pièces archi-rebattues des paysages nouveaux. Deljavan les dévoile avec une sonorité riche et toujours d’une grande plénitude, même dans les moments les plus redoutables (fabuleuse étude « pour les tierces » !), avec un profond sens du chant aussi (« Tristesse », d’une pudeur et d’une tenue exemplaires, l’Op. 10/6, la partie centrale de l’Op. 25/10). Quant à l’urgence dramatique à laquelle il parvient dans les trois derniers numéros de l’Opus 25, elle dit mieux que tout sa compréhension intime de la musique.
Un moment magique qui restera longtemps gravé dans les mémoires, ce d’autant plus fermement que, malgré l’accueil enthousiaste du public, Deljavan a eu l’intelligence de ne le prolonger par aucun bis. Quand tout a été dit ...

 Le Festival Chopin ne fait que commencer et, jusqu’au concert de clôture du 14 juillet, confié cette année au splendide Kotaro Fukuma, l’affiche de la 34e édition réserve bonheurs et découvertes aux amoureux de piano.

Alain Cochard

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(1) Bien des célébrités d’aujourd’hui sont apparues à leurs tout débuts lors la journée « à portes ouvertes » du Festival.
 
Paris, Orangerie de Bagatelle, 17 juin 2017 / www.frederic-chopin.com/pages/festival-chopin-a-paris/34e-festival-chopin
 
Photo Alessandro Deljavan © Luca Centola

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