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XIXe Festival de Pâques à Deauville - Le goût du large - Compte rendu

XIXe Festival de Pâques à Deauville -  Le goût du large - Compte rendu
 L’an prochain, le Festival aura vingt ans : deux décennies pendant lesquelles Yves Petit de Voize a défriché, rassemblé, cultivé la forme de la géométrie variable pour à peu près tout ce que la vitalité française offrait de jeunes musiciens capables de devenir des grands. Ce que nombre d’entre eux sont aujourd’hui : qui ignore les noms des Capuçon, des Angelich, Rohrer, Vitaud et Chamayou qui donnèrent son âme au Festival, avec toujours une jeune garde prête à les relayer, offrant des perles chaque année, dans un pur esprit d’aventure ?
 
Quand on n’a pas de pétrole… etc. Yves Petit de Voize ne peut certes se permettre d’inviter les grandes Philharmonies mondiales, mais il est gourmand, à la façon d’un grand chef  inventif, et il concocte toujours de piquantes recettes qui renouvellent l’approche de la musique. Ainsi en est- il encore de cette session : Caplet y voisine avec Chausson, Reicha frôle Mozart, Mahler s’y donne pas seulement en Symphonies et lieder, mais en quatuor, à côté de pièces consacrées de la musique de chambre, notamment avec Brahms.
 
Ambitieux, plus qu’ambitieux, tel était le concert d’ouverture, à la limite de l’expérimental, qui a secoué les sensibilités : secoué parce qu’à force de les avoir entendus dans les grands concerts on n’est plus guère habitué à écouter les Wesendonck lieder avec si peu de cordes - alors qu’en fait au départ ils furent écrits par Wagner pour seul piano en accompagnement de la voix ! A la baguette, un fleuron de la toute jeune génération, Clément Mao-Takacs (photo) et son ensemble Sécession, soutenu par la Fondation Singer-Polignac, outre des membres de l’Atelier de musique, orchestre saisonnier du festival : ce jeune chef passionné nous semble surtout porté par un désir de faire ressortir les articulations du discours musical, dans une direction très boulézienne, mais on lui a trouvé un certain manque de lyrisme, et le velours qui aurait dû enchâsser la jolie voix chaleureuse de la mezzo canadienne Irina de Baghy (photo) s’est trouvé un peu rayé par la virulence des vents. Certes, tout tableau mérite esquisse, mais imaginer le Baiser de Klimt en quelques coups de crayon, sans le chatoiement doré de sa nuit étoilée - en l’occurrence la sensualité frémissante des cordes - nous surprendrait. Ce fut un peu le cas ici.
 
Quant à la Symphonie « Titan » de Mahler, qui suivi, c’était une entreprise titanesque, dont le côté fou était permis par la réduction faite par Klaus Simon en 2008, et qu’ont adoptée les musiciens. Là aussi Clément Mao-Takacs a montré son art de la découpe, de l’opposition des dynamiques, si marquées par la sensibilité foisonnante de contrastes de Mahler. Mais force est de dire que l’acoustique de la salle Elie de Brignac, laquelle fait la part belle aux sonorités claquantes des vents, a besoin de plus de chair au niveau des cordes pour leur faire écrin. Quant à la Passacaille de Webern, sur laquelle s’ouvrait ce copieux menu, elle fut en tout point magnifique, le chef la lisant avec une évidente empathie, car on le sait passionné de musique contemporaine et compositeur lui-même.
 

Ensemble Messiaen © Claude Doaré
 
Le lendemain, confirmation de ce que l’on avait déjà expérimenté, à savoir que la Salle Elie de Brignac se prête infiniment mieux aux sonorités de la pure musique de chambre, et met en valeur les individualités des voix qui composent quatuor ou autres formations ténues. L’équilibre en était parfait. Et là aussi, aventure : non que le Quatuor pour la fin du temps de Messiaen soit une découverte, mais il n’est guère festif et ne peut s’adresser qu’à des sensibilités plus que tendues vers lui, sinon éclairées. Là les jeunes musiciens de l’Ensemble Messiaen (Raphaël Sévère, David Petrlik, Volodia Van Keulen et Théo Fouchenneret) ont joué sur la corde raide, possédés par la gravité du propos, la force du silence, creusant la douleur du compositeur et son angoisse avec une délicatesse et une gravité bouleversantes, notamment sur le dernier trait de violon de David Petrik, ténu jusqu’à l’oubli.
 
Auparavant, Im fremden Land, sextuor pour clarinette, quatuor à cordes et piano (avec Guillaume Vincent au clavier et Adrien Boisseau à l’alto), que Philippe Hersant composa en 2002 à la mémoire d’Olivier Greif, œuvrait exactement dans la même sphère quasi immatérielle et pourtant si proche, avec en ouverture l’appel irrésistible de la clarinette de Raphael Sévère. Concert gratuit, certes, pour inciter un public parfois réticent à tendre une oreille plus curieuse vers le répertoire d’aujourd’hui, et réussite totale, auprès d’une assistance tendue et fascinée.
 
Jacqueline Thuilleux
 
Deauville, Salle Elie de Brignac, 18 et 19 avril 2015 . Prochains concerts, les 23, 24, 25 et 30 avril, les 1er et 2 mai 2015. www.musiqueadeauville.com
 
A noter, la collection Deauville live lancée par B Records pour pérenniser ces concerts : deux titres déjà ce printemps, consacrés le premier à Janacek, et le second à Mendelssohn.

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