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Vivaldi & Venise - Jean-Claude Malgoire et "Catone"

C'est bien le problème des interprètes aujourd'hui que de tenter de jouer un opéra de Vivaldi en respectant les volontés de l'auteur et l'unité de son ouvrage. Jean Claude Malgoire qui vient de publier chez Dynamic, une lecture de l'opéra "Catone in Utica" s'est confronté à une difficulté familière : "ré écrire" les parties des opéras dont nous ne possédons plus les partitions originales. Ainsi, le directeur de la Grande Ecurie & la chambre du Roy dut-il "inventer" le premier acte qui manquait avec l'aide du musicologue Frédéric Delaméa. Mais une ré invention respectant au mieux les intentions du compositeur : Malgoire a réutilisé des airs d'autres opéras de Vivaldi correspondant au texte de son "Caton" en préservant l'idée directrice d'une continuité dramatique imposée par le livret de Métastase. Cette part de réinvention s'est surtout concentrée sur l'écriture des récitatifs.

"Catone in Utica" créé au printemps 1737 à Vérone dévoile l'ambition de Vivaldi : résister à la déferlante napolitaine en s'appropriant ses "ficelles" et surtout en créant un style authentiquement original. Certes, récitatifs et arias reproduisent les standards du théâtre à la mode mais la signature vivaldienne se lit précisément dans l'habit somptueux qu'il réserve à l'orchestre. Il est vrai que l'orchestre du théâtre Filarmonico de Vérone, le plus somptueux de l'époque, lui offrait un collectif de talents (au minimum 22 musiciens) aptes à servir ses alchimies inégalées dans l'art des combinaisons de timbre. Ainsi les colorations et les climats permis et ciselés par un instrumentarium des plus généreux comprenant flûtes et hautbois, cors et trompettes ne furent pas étrangers au succès de l'ouvrage. Fidèle à son engagement pour l'auteur Vénitien, Jean Claude Malgoire qui a dirigé et enregistré de nombreux autres opéras de Vivaldi dont son "Montezuma" (en 1992 chez Astrée/Auvidis), explore avec passion cette "furia prodigieuse" dont parle les contemporains du musicien à l'époque de la création de ses opéras.

Pour "Catone" qui au disque recueille les performances scéniques d'une tournée menée en novembre 2001, le directeur musical de l'Atelier Lyrique de Tourcoing s'est assuré le concours de chanteurs aguerris aux prouesses vivaldiennes dont l'alto français Philippe Jaroussky. Le chanteur s'est affirmé davantage dans ce répertoire quand il a ensuite chanté dans la production plus récente d'un autre opéra de Vivaldi, "La Vérità in cimento" dirigé par Jean-Christophe Spinosi au printemps 2002. "Catone in Utica" est le quatrième opéra créé à Vérone. C'est un triomphe retentissant comme l'indique le compositeur dans son abondante correspondance adressée à son protecteur le marquis Guido Bentivoglio.

Une réussite obtenue sur le terre ferme qui n'empêche pas aussi une certaine amertume. Venise lui est alors fermée : le public lui préfère définitivement le théâtre des auteurs napolitains. Vivaldi est alors ce voyageur de presque soixante ans qui demeure sur les routes entre deux créations de ses ouvrages. A l'image de sa musique, frénétique, portant la marque d'une urgence et de brûlures qui le portent sans reprendre son souffle, le vénitien banni dans sa ville, s'apprête bientôt à quitter Venise pour Vienne où pourtant il mourra dans la misère la plus effroyable après le décès brutal de son protecteur.

Alexandre Pham

Photo : David Tonnelier
 

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