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Une interview de Thibault Fajoles, organiste titulaire-adjoint de Notre-Dame de Paris – « Je suis toujours frappé par la grandeur du lieu et par l'atmosphère qui règne à Notre-Dame »

Né en 2002, Thibault Fajoles est nommé organiste titulaire-adjoint de la cathédrale Notre-Dame de Paris en 2024. Après avoir découvert l’orgue à 12 ans, il se forme aux CRR de Nancy et de Saint-Maur-des-Fossés, puis poursuit ses études au CNSMD de Paris en orgue avec Thomas Ospital, Olivier Laury et Maude Gratton, ainsi qu’en improvisation avec Thierry Escaich et László Fassang. Organiste liturgique, il mène également une activité concertante soutenue en France et à l’international.
Vous êtes organiste titulaire adjoint de la cathédrale Notre-Dame de Paris depuis avril 2024. Comment appréhendez-vous cette fonction à 23 ans ?
C'est une mission avant tout. Être organiste à Notre-Dame de Paris, c'est être organiste liturgique et donc accompagner les offices. C'est quelque chose de très délicat qui me passionne. J'ai pu échanger avec beaucoup de professionnels pour me former à cette mission, et c’est véritablement une chance de pouvoir travailler dans un tel lieu chargé d’histoire. La musique, à Notre-Dame de Paris, a une identité très forte : nous avons la chance d'avoir une maîtrise de haut niveau, des célébrations à deux orgues dans un cadre exceptionnel, c'est vraiment très stimulant. À 23 ans, je suis très heureux d’avoir la chance de travailler dans ce lieu mythique et de pouvoir faire quelque chose qui m’anime.
« On éprouve un sentiment unique, saisissant et très inspirant à la tribune de Notre-Dame »
Quel est votre sentiment lorsque vous arrivez à la tribune et que vous vous installez à la console, face à cette immense nef ?
Quand j'arrive à la tribune du grand orgue, j'ai beau avoir une certaine habitude en venant toutes les semaines à Notre-Dame, je suis toujours frappé par la grandeur du lieu et par l'atmosphère qui y règne. Il faut toujours un petit temp pour s’en imprégner avant de jouer. On surplombe une assemblée, parfois de 1500 personnes. C’est vraiment un sentiment unique, saisissant et très inspirant.
Le répertoire pour orgue n’est pas encore bien connu du grand public. Il est pourtant plus riche qu’on ne le croit.
C’est évident, on connaît très bien la musique d'orgue de Jean-Sébastien Bach, et pas seulement sa célébrissime Toccata. Mais on connaît moins la contribution d’autres grands compositeurs au répertoire d’orgue. Par exemple, Félix Mendelssohn a composé trois préludes et fugues ainsi que six sonates pour orgue, d'une très grande qualité et particulièrement appréciées des organistes. Il y a aussi de nombreux organistes qui ont composé pour orgue, mais ils restent moins connus du public. On peut citer Alexandre Guilmant, qui a composé plusieurs sonates pour orgue, ou Charles-Marie Widor, auteur de dix symphonies pour orgue.

© thibaultfajoles
« Beaucoup de jeunes sont passionnés par l’orgue »
Aussi, l’orgue semble être un instrument moins accessible pour les élèves qu’un violon ou qu’une clarinette ...
Ce qui est sûr, c'est qu'il n'y a pas autant de classes d'orgue que de classes de violon, de piano ou de trompette. C’est un instrument qui ne paraît pas très accessible ne serait-ce, paradoxalement, par la place qu’il prend. En France, la plupart des orgues sont dans les églises. Sur 10 000 instruments, seuls 3 sont des orgues de salle. Contrairement au Japon qui en compte environ 400. On pense souvent que l'orgue n'est pas un instrument pour les jeunes, mais beaucoup sont passionnés par l’orgue, en France comme à l’étranger. C’est formidable, et je pense que nous avons tous un rôle de médiation et de promotion de notre instrument à jouer.
D’ailleurs, votre premier contact avec l’orgue a eu lieu lors d’une visite. Comment cela s’est-il passé ?
J'ai découvert l’orgue et la musique à douze ans, à Villers-sur-Mer en Normandie. Mes parents m'avaient proposé d'aller à un concert d'orgue et à la visite qui suivait le lendemain. J'ai dit non au concert mais oui à la visite, qui a duré deux fois plus longtemps que prévu. J’étais fasciné par le côté mécanique de l’instrument ! Un an après, j'ai commencé à pianoter, à accompagner des offices, puis à prendre des cours. Et quand j’ai été nommé à Notre-Dame, mes parents m'ont félicité, mais ils ont mis trois jours à réaliser. Ils ne sont pas musiciens, et c’était comme si j’avais trouvé un nouvel appartement. Je tiens d’ailleurs à les remercier car ils m’ont toujours encouragé et soutenu, même si ma mère, professeur de mathématiques, me voyait plutôt ingénieur !
« Mon métier principal, c’est organiste liturgique. Et c’est ma passion. Mais ça ne m'empêche pas de donner des concerts ! »
Vous avez un emploi du temps très chargé. Quand on ne connaît pas vraiment le milieu de l'orgue, on imagine mal qu'un organiste soit autant sollicité.
La spécificité du poste que j’occupe à Notre-Dame de Paris, c’est que c'est un des lieux de France où il y a le plus d'offices qui nécessitent la présence d'un organiste. Ce qui explique que je suis très souvent mobilisé à Notre-Dame, surtout à l’orgue de chœur. Effectivement, on s'attend plus à l'organiste qui donne des concerts et qui joue ses quelques messes du dimanche. Mais mon métier principal, c’est organiste liturgique. Et c’est ma passion. Mais ça ne m'empêche pas de donner des concerts ! (1) C’est tout à fait possible de concilier les deux, nous sommes plusieurs à Notre-Dame donc il y a un roulement.
« La notion du musicien dans son coin n’existe pas selon moi. »
En effet, en 2023 vous avez joué sous la direction de Daniel Harding dans la Huitième Symphonie de Mahler à la Philharmonie de Paris. Mais également avec l’Orchestre Étésias dans le Requiem de Fauré au festival de l’Épau en 2025. Pour un organiste liturgique, qu’est-ce que ça représente de sortir de l’église et de s’associer à un orchestre ?
Je pense que la chose la plus importante en musique, c'est le partage. Avec les musiciens, avec le public. Je considère qu'il est plus que nécessaire de jouer avec d'autres instruments et des chanteurs. Quand on est organiste, c'est toujours une chance exceptionnelle de pouvoir jouer avec un orchestre ou en musique de chambre, car les occasions sont rares ! On apprend beaucoup en travaillant dans un orchestre, ça nous permet aussi de découvrir ou redécouvrir des œuvres, et de voir le travail qui en est fait. Et quand on sait qu'une partie de l'interprétation à l'orgue réside dans la manière de registrer (choisir les sonorités), c’est quand même important d'ouvrir ses oreilles. La notion du musicien dans son coin n’existe pas selon moi.
Propos recueillis par Antoine Sibelle le 16 novembre 2025

Photo © thibaultfajolees
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