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Une interview de Sir András Schiff – « Autant j’aime la France, autant la presse française ne m’a pas ménagé »

Très peu présent sur les scènes françaises, le pianiste Sir András Schiff (photo) est reconnu dans le monde entier comme l’un des interprètes majeurs de notre temps dont les enregistrements de l’œuvre pour clavier de Bach, des Concertos de Mozart ou des 32 Sonates de Beethoven ont été unanimement salués par la critique internationale. Son retour à Paris pour un récital à la Philharmonie dans le cadre de la prestigieuse série Piano**** a valeur d’événement. Varié, son programme conjugue le classicisme de Bach et de Mendelssohn au romantisme beethovénien et à l’intimité brahmsienne.
 
Comment avez-vous conçu le programme que vous jouerez à la Philharmonie de Paris, et quel en est le fil d’Ariane ?
 
András SCHIFF : Le répertoire pour piano est immense. On ne peut pas tout jouer en un seul récital et tout est affaire de choix ou de goût. J’aime proposer des programmes parfois monothématiques reposant sur un seul compositeur. A la Philharmonie, il s’agit plutôt d’une succession de quatre compositeurs, mais il existe une relation entre eux avec une véritable narration. Au centre il y a Johannes Brahms avec ses courtes pièces pour piano op. 76 et 116 qui sont très intimes, très personnelles, presque comme des confessions. Une soirée entière consacrée à ce compositeur serait, à mon avis, trop intense. Les couleurs des ces partitions sont tristes, extrêmement noires. Il est préférable de contrebalancer cette impression par des atmosphères différentes et contrastées qui mettent en valeur la tonalité de Brahms.
 
Quelles sont les raisons qui font débuter votre récital par la Fantaisie op. 28 de Mendelssohn que l’on entend si rarement ? Quel intérêt présente-t-elle pour vous ?
 
A.S. : Mendelssohn est un compositeur considérable, très sous-estimé dans une large mesure par la faute de Wagner qui a écrit son infâme brochure « Du judaïsme dans la musique » dans laquelle il parle de Mendelssohn d’une impardonnable manière. Malheureusement, beaucoup de personnes encore se rangent du côté de Wagner et mettent son contemporain au second plan. Rien ne paraît être plus éloigné de la vérité ; Mendelssohn, par ses multiples et prodigieux talents, ne peut être comparé qu’à Mozart. Ses premières compositions – les symphonies pour cordes, l’Octuor, l’Ouverture pour le Songe d’une nuit d’été – tiennent du miracle absolu. La Fantaisie op. 28 est une page merveilleuse rarement proposée en concert, mais ne me demandez pas pourquoi. Je vais, pour ma part, la jouer avec plaisir et fierté.
 
La Sonate op. 68 « À Thérèse » de Beethoven est souvent délaissée par les pianistes concertistes alors que le compositeur l’appréciait particulièrement. Quelle place lui assignez-vous au sein des 32 Sonates et quelle en est l’originalité ?
 
A.S. : Il s’agit de l’une des plus poétiques sonates de Beethoven. Elle n’a rien de spectaculaire et ne correspond pas au cliché accolé au compositeur de la Symphonie « Héroïque ». Le climat y est tendre et plein d’amour masculin envers Thérèse von Brunswick à laquelle cette œuvre en deux mouvements est dédiée.
 
Vous êtes reconnu comme un spécialiste de l’œuvre pour clavier de Jean-Sébastien Bach. Pouvez-vous nous préciser en quoi votre conception a pu évoluer avec le temps ?
 
A.S. : C’est selon moi une évidence, Jean-Sébastien Bach est le plus grand compositeur de tous les temps. Chaque jour de ma vie débute en le jouant au clavier durant une heure environ. Après cela, ma journée peut commencer et se poursuivre.
 
L’activité de pédagogue occupe une place importante dans votre vie de musicien comme j’ai pu le constater à Gstaad ou à Verbier l’été dernier. Quels sont les principes conducteurs auxquels vous vous attachez particulièrement dans votre enseignement ?
 
A.S. : Plus je prends de l’âge et plus j’aime enseigner. Lorsque j’étais jeune, il était nécessaire d’apprendre par moi-même en un interminable processus. Il me semble désormais qu’il est temps de transmettre mon expérience aux autres.
 
Pensez-vous que l’on vous entendra plus souvent les prochaines années dans notre Hexagone ?
 
A.S. : Je suis un grand admirateur de la France et de la culture française. En fait, ma dernière apparition à Paris a eu lieu le 8 avril 2017 à la Philharmonie – une magnifique salle de concert – avec l’Orchestre de Chambre d’Europe. Il est vrai que ces dernières années je ne suis pas souvent venu dans votre pays. La raison en est simple : autant j’aime la France, autant la presse française ne m’a pas ménagé. Depuis mes tous premiers concerts, j’ai été constamment attaqué par la critique française. Cela n’est peut-être pas très important mais paraît étrange en comparaison de la reconnaissance dont je bénéficie dans d’autres pays. Je ne suis pas masochiste et il ne faut jamais renoncer. Peut-être dans ma vieillesse aurais-je l’honneur d’une « carrière » française, mais j’espère « pas trop tard » !
 
Vous venez d’enregistrer avec votre épouse pour le label ECM auquel vous êtes fidèle un CD de musique de chambre violon/piano consacré à J.-S. Bach, Beethoven et Busoni. (1) Peut-on savoir quels sont vos prochains projets discographiques ?
 
A.S. : Mes prochains enregistrements concerneront les pages ultimes de Brahms, j’ai aussi un projet autour de Bach et Bartók.
 
Propos recueillis par Michel Le Naour, le 6 janvier 2018

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(1) Avec Yuuko Shiokawa (violon) / 1CD ECM 4815767
 
András Schiff, piano
Œuvre de Bach, Mendelssohn, Beethoven, Brahms
12 janvier 2018 – 20h30
Philharmonie de Paris – Grande Salle Pierre Boulez
www.concertclassic.com/concert/andras-schiff
 
Photo © Birgitta Kowsky
 

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