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Une interview de Nicolas Le Riche, directeur du Ballet royal suédois – Un Français à Stockholm

Le jeu de chaises chorégraphiques se poursuit partout, comme il en a toujours été. Et voici que Stockholm entre à nouveau dans la danse. Dans la maison d’Opéra construite à la demande de Gustave III (le roi assassiné du Bal Masqué de Verdi), un Français notoire vient de se poser. Il y avait déjà Manuel Legris à Vienne (dont il part en 2020), il y a Laurent Hilaire à Moscou, au Stanislavski, depuis l’an dernier). Aujourd’hui c’est Nicolas Le Riche (photo), le danseur star français le plus populaire après Cyril Atanassoff et Patrick Dupond, qui – trois ans après ses adieux à l’Opéra de Paris – s’installe à Stockholm où il va veiller aux nouvelles destinées d’une compagnie plus riche que les Français ne se l’imaginent. D’abord, un vrai grand passé classique, marqué d’emblée par une empreinte française, avec Didelot et Antoine Bournonville (père du fameux Auguste), des fées sublimes puisque Marie Taglioni y naquit d’une mère danseuse suédoise, et y revint, puis au XXe siècle l’influence majeure de Fokine de 1918 à 1920. Sans parler des prestigieux Ivo Cramer et Erik Bruhn.

La danse suédoise s’envola ensuite avec d’autres inspirations, vouées à la modernité : en premier la grande aventure des Ballets Suédois, qui, créés après la première guerre mondiale, enflammèrent l’intelligentsia, et notamment parisienne, de leur folle liberté. Ensuite, ce fut la grande Brigitte Cullberg qui donna, elle, une dimension plus théâtrale et plus sauvage à la danse suédoise, que son fils Mats Ek allait prolonger avec un égal génie. Toutes évolutions qui allaient imprégner le Ballet royal, que dirigea le grand Antony Tudor dès 1949, et où brillèrent de superbes individualités comme Flemming Flindt. Portée par ces élans novateurs et par d'excellents techniciens, la danse en Suède n’est certes pas un art mineur.
Succédant à Johannes Öhman, Nicolas Le Riche, homme d’ouverture autant que de respect des traditions,- et qui fut aussi le plus inspiré des interprètes de Mats Ek à l’Opéra de Paris - en perçoit bien la richesse et se donne d’emblée à sa nouvelle mission avec la passion qui le caractérise. Cap au Nord donc !
 

Nicolas Le Riche © Carl Thorborg/Royal Swedish Opera
 
Comment a débuté cette aventure, qui a surpris tout le monde ?
 
Nicolas LE RICHE : Et moi encore plus ! Ce fut absolument inattendu et tout s’est passé en un éclair : je me trouvais à Amsterdam, l’été 2017, invité au sein d’une réunion de directeurs de ballets et j’y ai rencontré Ingrid Lorentzen, responsable du Ballet de Norvège, qui m’a signalé la vacance du poste suédois. J’avais juste 24 heures de délai ! J’ai postulé immédiatement, et j’ai été aussitôt accepté! Ma femme, l’étoile Clairemarie Osta, a adhéré au projet avec enthousiasme : partie très tôt de chez elle, elle a le sens de l’aventure et elle est très ouverte, mobile et adaptable. Quant à mes filles, elles sont déjà dans une école internationale. Le contexte familial, majeur pour moi, était donc plus que favorable. Et comme Clairemarie va diriger la section classique de l’Ecole Royale du Ballet Suédois, tout à fait indépendante du Ballet Royal de l’Opéra, contrairement à ce qui existe à Paris, les projets d’établir des passerelles entre les deux institutions vont pouvoir prendre corps.
 
Votre entrée en fonction n’a donc pas tardé ?
 
N.L.R. : Je suis directeur effectif depuis la mi-août 2017. Je connaissais la troupe car j’avais dansé avec eux par le biais de Mats Ek et j’avais rencontré Johannes Öhman, mon prédécesseur. L’aventure des Cullberg et celle des Ballets Suédois m’avaient toujours passionné. Pour ma part, avec le groupe de travail Le Laac, que j’ai créé avec Clairemarie après mon départ de l’Opéra, je me sentais en parfaite osmose avec l’esprit d’aventure qui caractérise l’art en Suède, où la danse, et notamment la française, tient un rôle que l’on ne soupçonne pas. Dans ce petit pays, où tout le monde est cousin, l’empreinte de la famille Bernadotte est très présente. Quant au bâtiment de l’Opéra lui-même, il a été reconstruit comme un petit Opéra Garnier, à l’échelle du pays et de sa riche culture.

 

Juliette et Roméo (chor. Mats Ek) © Gert Weigelt/Royal Swedish Opera

Comment se présente la compagnie ?
 
N.L.R. : Très tournée sur la diversité, très variée dans sa composition, avec 68 danseurs, de 25 nationalités, que je trouve de très bon niveau. Certains viennent de la Juilliard School, d’autres ont travaillé aux Ballets de Monte-Carlo, ainsi Jérôme Marchand, qui en fut l’une des vedettes. Mon prédécesseur voulait les scinder en deux groupes, l’un voué à la danse contemporaine, l’autre au classique. Je ne suis pas de cet avis. Pour ma part, mon expérience très riche à Paris me dit qu’il faut relier ces interprètes, les rendre adaptables. Ces catégorisations sont aujourd’hui obsolètes : les danseurs et les sensibilités ont évolué. Mon idée directrice est de fusionner les deux modes de danse, qu’il n’y ait plus de séparation, De nouvelles méthodes de travail ont été trouvées, qui le permettent.
 
Quels seront les traits marquants de votre programmation ?
 
N.L.R. Bien évidemment, pour le moment, elle n’est pas entièrement de moi et je continue avec des succès du répertoire en place, ainsi le Casse Noisette, de Pär Isberg, qui a fusionné le conte hoffmannien avec une tradition suédoise mettant en scène deux petits personnages locaux, Petter et Lotta. Il y a également de grands classiques, La Belle au Bois Dormant revue par Marcia Haydée et Alice au Pays des Merveilles de Christopher Wheeldon. Je veux aussi reprendre le Juliette et Roméo de Mats Ek, sans parler de Wim Vandekeybus et de Jiří Kylián, qui figureront dans les spectacles que j’engage.
Parmi les temps forts de ma propre programmation, pour marquer un pont entre la France et la Suède, je tiens aussi à souligner la présentation en février 2019  du fameux ballet Suite en Blanc, emblématique de l’art de Serge Lifar. Une œuvre majeure à mon sens, mais dont le style est difficile à restituer. Pour cela, je ferai appel à Charles Jude, qui en fut l’un des grands interprètes. La soirée sera complétée par une création de Jérémie Bélingard, ex-étoile de l’Opéra de Paris, dont le talent chorégraphique a jusqu’ici été trop mis en retrait, à mon sens. Je veux mettre en valeur des personnalités dont le don pour la création mérite d’être connu, ainsi le grand Jiří Bubeníček, qui fut un temps étoile chez John Neumeier à Hambourg ainsi qu’au Semperoper de Dresde.
 
Par qui serez vous aidé ?
 
N.L.R. : En ce qui concerne les maîtres de ballet, je ferai travailler moi-même la compagnie, car les studios sont un endroit magique pour créer l’osmose. Mais il y aura bien évidemment des équipes spécialisées pour chaque production. L’ambiance est ici très différente de celle de Paris, notamment en ce qui concerne la hiérarchie. Et j’ai la chance que le budget consacré à la danse ait été augmenté, preuve que la Suède attache de l’importance aux activités chorégraphiques de cette maison.
 
Un rêve particulier dans cette foule de projets ?
 
N.L.R. : Une de mes grandes idées est la célébration du centenaire de la création des Ballets suédois, en 2020. J’y reprendrai quelques pièces emblématiques conçues avec le Groupe des Six, et de grands plasticiens de l’époque, comme Picabia et Léger, ce qui pose un jalon évident entre la Suède et la France. Une manifestation qui montrera combien cette avant garde dont la Suède sut être un fer de lance était déjà en marche, même si la vigoureuse compagnie de Jean Borlin n’eut qu’une brève existence, de 1920 à 1925. Elle fut vraiment caractéristique de l’état d’esprit de ce pays ouvert aux plus libres formes d’expression. Un vrai oxygène.
 
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 5 décembre 2017

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Site de l'Opéra royal suédois :
www.operan.se
 

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