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Une interview de Marie Perbost, soprano – « Je ne fais pas ce métier uniquement pour chanter dans de très belles salles »
Pamina à Toulouse, le rôle-titre de Coronis à l’Opéra-Comique, la Folie dans Platée au Capitole à nouveau… Vous enchaînez les personnages de premier plan pour rattraper le temps perdu pendant le confinement ?
Comment pourrais-je refuser ces opportunités toutes plus séduisantes les unes que les autres ? Pour autant, je ne me sens pas surexposée personnellement, car l’opéra est un art collectif et il s’agit à chaque fois d’un vrai travail de troupe, du projet d’une équipe théâtrale qui propose son regard sur une œuvre.
Même dans le cas de la Folie dans Platée vu par Shirley et Dino, le personnage, certes excentrique, n’est malgré tout jamais isolé, coupé des autres. C’est ce spectacle que nous avions commencé à répéter il y a deux ans, quand le confinement a démarré le premier jour où nous sommes arrivés sur le plateau. J’avoue que l’idée de reprendre les choses là où elles étaient a quelque chose d’assez étrange, comme un mélange de jubilation et de pression : presque tous les artistes initialement prévus pour cette production se retrouvent deux ans plus tard, et chacun mesure ce qui a changé physiquement, intellectuellement et vocalement. On n’a pas souvent l’occasion de sentir avec une telle force le passage du temps.
Déjà, en décembre, quand je suis enfin retournée au Capitole pour La Flûte enchantée, je tremblais comme une feuille, je craignais que ça recommence ! En plus, il y avait une double distribution, nous étions vingt-quatre, mais nous avons fait très attention et, de façon assez miraculeuse, personne n’a été malade.
Avec Platée, vous renouez aussi avec cette étiquette comique qui s’attache à vous depuis vos débuts.
Je ne vais pas lutter contre ma nature, c’est une force qui me permet d’établir un lien particulier avec le public et qui est une source de plaisir absolument délectable. D’ailleurs, je suis très fière d’avoir conçu le récital « Une jeunesse à Paris », de A à Z, de l’écriture aux lumières. A force d’y travailler, j’ai appris à jouer sur l’énergie pour construire une belle courbe dramatique, en passant par toute la palette des émotions. J’ai découvert que je peux toucher le public autrement qu’en le faisant rire, et cela m’a permis de grandir. Mais lorsque j’entends le public rire, ça me galvanise ; je lui donne et il me rend, c’est un échange palpable. Depuis quelques années je cherche comment dynamiser l’art du récital, comment l’ouvrir au plus grand nombre. C’est une démarche militante : le confinement a été pour tous une période propice à la réflexion. Notamment sur la place de l’artiste dans la société.
L’art du récital permet une grande proximité avec la voix lyrique. Je suis convaincue que les vibrations de la voix et le partage cathartique des émotions procurent un bien-être physique indispensable en ces temps troublés… Et au même titre que cet échange de proximité avec le public, je suis fière d’offrir dans de petites villes, le même programme que je pourrais interpréter au Théâtre des Champs-Élysées. Cela me rend plus sereine, j’ai l’impression de remplir ma mission : je ne fais pas ce métier uniquement pour chanter dans de très belles salles. Je pense que nous, artistes, devons proposer un divertissement de qualité pour tous.
© Pauline Darley
Vous parlez de votre récital « Une jeunesse à Paris », mais on vous a aussi entendu récemment en concert, au Théâtre des Bouffes du Nord, dans un tout autre répertoire...
Oui, ce récital de belcanto, avec Florent Albrecht au piano, et ma consœur Chantal Santon-Jeffery.(2) C’était un vrai défi. Un virage que je me sens prête à prendre à présent pour aller vers une esthétique qui me bouleverse.
Dans le belcanto tout est dans la ligne, la beauté du son. C’est très loin de l’artiste de scène que je suis : jusqu’ici, je contemplais l’idée, j’évitais de l’aborder, mais cette musique exceptionnelle est excellente pour la voix et m’oblige à trouver un autre manière d’émouvoir. Forte de mon bagage théâtral, je dois aller vers cette maturité et assumer une place de soprano lyrique. Ce récital a aussi été l’occasion d’utiliser autrement mon registre grave. En fait, j’ai toujours eu des graves très intéressants pour une soprano. J’ai hésité, mais mes collègues et les retours très positifs de la presse concernant ce récital aux Bouffes du Nord m’ont encouragée. Florent Albrecht aimerait maintenant que nous enregistrions un disque de belcanto ensemble. Je vais me pencher sur la question... j’y réfléchis
Ces nouvelles possibilités pourraient-elles influencer vos choix de carrière dans un avenir proche ?
Je suis très heureuse qu’on pense à moi pour mes capacités théâtrales. Maintenant que ma voix s’est enrichie, je peux davantage me faire confiance, aller vers des personnages plus sensibles. Par exemple, dans La Flûte enchantée, Pamina traverse un deuxième acte dramatique, de profond désespoir, que j’ai adoré interpréter.
Je rêve de rechanter Blanche dans les Dialogues des Carmélites. C’est, je crois, mon ouvrage lyrique préféré. Mais je me projette peu dans tel ou tel rôle dans l'absolu car je préfère que l’on me propose des projets qui prennent sens quand ils s’inscrivent dans un lieu, dans une programmation, et en fonction des autres voix sur le plateau.
© Pauline Darley
On vous sollicite beaucoup pour la musique française : cela vous convient ?
Je suis absolument ravie que l’on m’appelle pour chanter du Grétry (il est question de reprendre Richard Cœur de Lion une troisième fois, et j’en serais enchantée), du Rameau, du Lully. À Bastille, on m’avait proposé Noémie dans Cendrillon, un rôle très drôle, un rôle très drôle que j'ai déjà chanté, et pour lequel je sais que j'aurai pu beaucoup m'amuser vocalement et théâtralement, mais je n’ai pas pu car cela coïncidait avec Platée. J’aimerais beaucoup chanter un jour à Garnier, nous cherchons le rôle adéquat… En mai, j’interpréterai à la Maison de la Radio le Psaume XLVII de Florent Schmitt sous la direction de Fabien Gabel (3), une œuvre magnifique, spectaculaire, que je ne connaissais pas. En tant que non-croyante frustrée – j’adorerais croire ! – je prends un plaisir infini à interpréter la musique religieuse. Je m’y sens portée. J’ai fait beaucoup d’oratorio, j’ai enregistré le Magnificat de Bach, la Passion selon saint Jean, J’ai chanté du Buxtehude, et même le Stabat Mater de Théodore Gouvy, une superbe rareté !
Vous venez de parler d’enregistrement : avez-vous des projets dans ce domaine ?
Pendant le confinement, j’ai enregistré pour Château de Versailles Spectacles : des cantates de Bach avec Valentin Tournet, les grands motets de Lully avec Stéphane Fuget. J’ai également un beau projet avec Les Ombres car, après avoir enregistré un oratorio de Gervais avec eux, ils m’ont proposé un récital. Toujours avec Stéphane Fuget, une trilogie Monteverdi, nous avons enregistré un Retour d’Ulysse (j’y étais Junon et l’Amour), il y aura Orfeo l’été prochain, et une Poppée est ensuite prévue.
Dans un tout autre style, un beau récital Prévert-Kosma est en gestation avec la Symphonie de poche dirigée par Nicolas Simon. Nous avons fait le choix d’orchestrer ce répertoire pour 13 musiciens. Nous avons choisi des pièces engagées, touchantes, lumineuses pour mon premier récital avec orchestre. Un retour à mes premières amours, la musique française, mais forte de mon expérience acquise depuis mon premier disque !
Propos recueillis par Laurent Bury, le 5 février 2022
(1) www.theatreducapitole.fr/web/guest/affichage-evenement/-/event/event/6021354
(2) www.concertclassic.com/article/bels-cantos-aux-bouffes-du-nord-plaisir-darpeges-compte-rendu
(3) www.maisondelaradioetdelamusique.fr/evenement/concert-symphonique/le-chant-du-rossignol-katia-et-marielle-labeque
Site de Marie Perbost : www.marieperbost.net/
Photo © Pauline Darley
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