Journal
Une interview d’Anastasia Kobekina – Venise à Auvers
Anastasia Kobekina a fait sa première apparition au Festival d’Auvers-sur-Oise en 2015 et on a plus d’une fois eu le plaisir de l’y retrouver depuis. La force du lien qu’elle noué avec la manifestation valdoisienne se vérifiera une nouvelle fois le 27 juin lors d’un concert au côté du Kammerorchester Basel, emmené par Julia Schröder, son Konzertmeister. Un ensemble en compagnie duquel la violoncelliste vient d’enregistrer un programme en hommage à Venise (Sony Classical). La Sérénissime inspire aussi la soirée à Auvers, avec des pages signées Albinoni, Vivaldi, Strozzi, Paganini ou Caroline Shaw. Dès le lendemain, Anastasia Kobekina retrouvera des étudiants des conservatoires du département et de la région pour une masterclass publique.
Votre disque s’ouvre sur le Lamento d’Arianna de Monteverdi ... et se termine par Ariadne’s Lament, une œuvre de votre père, Vladimir Kobekin ...
C’était manière pour moi de commencer par l’époque baroque, et de terminer par une pièce contemporaine. La musique de mon père a bercé mon enfance. La musique était un environnement naturel, et je ne pouvais pas imaginer que dans d’autres familles ce ne soit pas le cas.
Orchestre de chambre de Bâle © Mathias Mueller
Vous interprétez plusieurs œuvres de Vivaldi, dont un mouvement du Concerto en la mineur RV 419.
En choisissant de jouer avec l’Orchestre de chambre de Bâle, formation habituée à l’univers baroque, j’ai cherché à me rapprocher le plus possible de celui-ci. Ils sont habitués à improviser les ornementations, à une grande liberté interprétative, à jouer avec des cordes en boyau aussi, alors que je suis plus liée au « grand répertoire romantique » où tout est très écrit.
C’est un orchestre avec lequel j’ai beaucoup de projets. Avant d’enregistrer ce disque, je n’avais joué avec eux qu’un concerto de Haydn. Chercher le tempo juste avec de tels musiciens est passionnant. Ils apportent une telle énergie, une telle intensité. A mon sens, cela s’entend dans cet enregistrement ; j’ai éprouvé une immense joie à travailler avec eux !
Quels sont les grands violoncellistes qui ont bercé votre enfance ?
Au premier rang, il y a Rostropovitch, mais aussi Jacqueline Du Pré. J’admire son naturel, son rapport direct avec l’instrument. Son jeu allait au-delà de son violoncelle, elle « parlait » la musique.
Mais il faut parvenir, quand on joue, à se dégager de ces interprétations essentielles. Cela étant, parfois, quand je joue, je me demande si une phrase que j’interprète, dans le Concerto d’Elgar par exemple, vient exclusivement de moi ou trouve sa source dans ces interprétations légendaires.
Dans ce disque, vous avez choisi également d’interpréter une œuvre de Fauré, une mélodie : Les berceaux ...
J’ai beaucoup joué cette pièce, transcrite pour mon instrument. Fauré a séjourné à Venise. J’ai toujours adoré cette œuvre.
J’aime particulièrement cette époque de la musique française. J’aime beaucoup jouer la Sonate de Debussy, qui parfois semble presque improvisée. Malgré l’immense précision de l’écriture, elle offre une grande liberté à l’interprète.
Et puis j’ai voulu, dans ce disque, mêler les époques. Je ne voulais pas qu’il soit exclusivement consacré au répertoire baroque. Je tenais à une grande diversité de répertoires, à trouver des échos, des œuvres qui se répondent, malgré les changements d’époque.
Dans ce disque, vous jouez pour une large part du répertoire baroque, et utilisez des cordes en boyau. En quoi cela a-t-il changé votre regard sur le répertoire plus classique ou romantique que vous interprétez par ailleurs ?
Le fait de jouer sur boyau a beaucoup changé mon approche du « grand répertoire ». Je peux d’ailleurs, quand je travaille, utiliser des cordes en boyau pour jouer les œuvres de Schumann, ou les sonates de Beethoven. Le son vers lequel on cherche à tendre est plus difficile à obtenir que quand on joue avec des cordes en acier. Il faut être patient ; ça ne vient pas tout de suite. Mais avec un archet baroque et des cordes en boyau, on peut obtenir un son d’une très grande élégance.
Vous nous avez parlé des concertos de Haydn. Quel est votre lien avec ces œuvres ?
Ces concertos, que j’adore, sont d’une telle difficulté !, mais le fait de jouer avec des cordes en boyau me semble faciliter le travail sur ces partitions merveilleuses.
© Xenia Zazetskaya
Parmi les œuvres contemporaines de votre disque, on trouve une très belle composition de l’Américaine Caroline Shaw : Limestone & Felt (2012) ...
C’est une compositrice que je ne connaissais pas personnellement quand j’ai enregistré ce morceau. Je l’ai rencontrée il y a peu. Il y a une telle diversité dans sa production ! Elle peut composer de la musique électronique, pour des instruments traditionnels, pour toutes sortes de formations – avec une imagination débordante ! J’adore jouer cette pièce.
Comment faites vous pour changer d’époque, au concert, comme vous pouvez le faire au disque ?
Changer de type d’œuvre au cours d’un concert est un « exercice » que j’aime particulièrement. Nous jouerons peut-être aussi du Stravinsky à côté de page baroques le 27 juin à Auvers.
Votre disque est dédié à Venise. Quelle autre ville, chère à votre cœur, pourrait faire l’objet d’une évocation en musique ?
J’ai choisi Venise parce que cette ville me fascine ; à chaque fois que j’y séjourne l’effet est le même. Choisir une autre ville ? Saint-Pétersbourg me vient immédiatement à l’esprit.
Propos recueillis par Frédéric Hutman le 15 mars 2024
> Voir les prochains concerts de violoncelle en France
Kammerorchester Basel, dir. Julia Schröder / Anastasia Kobekina, violoncelle
27 juin 2024 – 21h
Auvers-sur-Oise – Eglise Notre-Dame
https://festival-auvers.com/270624/
28 juin 2024 – 14h30 à 18h30
Auvers-sur-Oise - Maison Rose de Wallerand
https://festival-auvers.com/280624/
Photo © Julia Altukhova
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