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Trois questions à Jérémie Rhorer – Des vertus de Brahms et de la musique en général

 

Jérémie Rhorer retrouvait cette semaine sa résidence aixoise, en compagnie des musiciens du Cercle de l’Harmonie. L’occasion de vivre une soirée exceptionnelle avec un programme a dominante brahmsienne, longuement ovationné au Grand Théâtre de Provence qui affichait complet à cette occasion, et de recevoir des détenus de la maison d’arrêt de Luynes (Aix-en-Provence) avant qu’un quintette d’instrumentistes du Cercle n’aille, le lendemain, y donner un concert. L’occasion pour le directeur musical de dire sa passion pour la musique de Brahms et pour tout le travail effectué pour les publics dits « empêchés ». En particulier les actions qu’il mène en compagnie d’équipes médicales sur l’impact de la musique pour la santé physique et mentale.
 

© Caroline Doutre

Vous venez de partager avec le public aixois un somptueux et fort apprécié moment musical dominé par la musique de Brahms (Danses hongroises nos 1, 3, 5 & 10 ; Symphonie n° 3) ; est-il appelé à être proposé ailleurs et pourquoi avoir choisi Brahms ?
 
J’espère, effectivement, que ce programme va pouvoir être donné dans l’avenir car il démontre que la matrice culturelle de Brahms est beaucoup plus riche que celle que l’on a l’habitude de présenter. Les influences de la musique populaire, des danses, des cabarets, qu’il a fréquentés très jeune avec son père, ainsi que ses études des œuvres des maîtres anciens forment une palette très souvent ignorée dont Brahms se sert dans ses compositions.
 Le fait de présenter un diptyque composé de quelques danses hongroises et d’une symphonie permet d’apprécier l’intégration de la musique populaire dans une partition savante avec, notamment, des contretemps accentués et des décalages de la métrique dans la mesure inspirés par la danse. Si l’on n’aborde pas la musique de Brahms comme çà, on arrive à une esthétique différente, qui domine en Allemagne depuis un siècle, avec un son qui gomme toutes ces aspérités rythmiques. J’espère ici retrouver l’esprit original qui est, chez Brahms, un esprit de légèreté de transparence et d’élégance. Une élégance culturelle chez lui qui fut l’un des premiers éditeurs de Couperin, ce qui n’est pas banal, et dont les derniers opus de piano font souvent penser à Debussy.
Quant à l’instrumentation proposée par Le Cercle de l’Harmonie on peut penser qu’elle correspond à celle qui était mise en place de son temps. Il y a quelque chose de bouleversant dans la palette sonore de Brahms ; il composait pour des instruments dont il maîtrisait les timbres et leur association pour arriver à l’esthétique que nous connaissons.
 
© Caroline Doutre
 
Avec Le Cercle de l’Harmonie vous êtes en résidence au Grand Théâtre de Provence à Aix-en-Provence depuis 2018. L’intérêt d’une telle résidence est-il toujours le même cinq ans après ?
 
Totalement. Cette résidence est très importante pour nous. Elle m’a été offerte par Dominique Bluzet, le directeur du théâtre, sur l’intuition qu’il avait de ce qu’un projet artistique comme le mien pouvait apporter au théâtre et, plus largement, à la région. Il a eu une espèce de vista sur l’importance du populaire en musique et nous nous sommes vraiment rencontrés sur cet objectif. Dès le départ nous savions que nous voulions construire la même chose. Pour moi c’est devenu une sorte de famille mais aussi un laboratoire créatif pour la programmation. Je pense que ce que nous faisons dans le cadre de cette résidence ne pourrait pas être fait ailleurs.
 Puis ici j’ai eu la possiblité de développer un travail autour du pouvoir curatif de la musique dite classique. On est entrain de découvrir scientifiquement que l’élaboration de la musique classique a des vertus de structuration sur le langage, dès le stade in utero, qui sont absolument fantastiques et qui peuvent même laisser espérer un nouvel universalisme lorsque tout ça aura été démontré ; personnellement j’en suis persuadé. Ainsi je travaille beaucoup sur les liens entre la musique et de la santé, physique et mentale ; dans ce cadre là nous menons des actions avec les détenus de la prison d’Aix-en-Provence. Avec eux on sent que les vibrations de la musique ne sont pas conditionnelles et que par ces vibrations ils accèdent à la beauté dont ils pensent qu’elle leur est refusée depuis l’origine. On leur ouvre vraiment une porte et je trouve ça formidable.
 Je m’investis beaucoup dans ces actions d’autant plus que j’ai eu l’occasion d’effectuer le même travail avec le monde de l’addictologie qui m’a révélée une part du potentiel de la musique classique lorsqu’un jour un curiste est venu et m’a dit «depuis des années ne vis plus que des sensations, avec vous j’ai retrouvé l’émotion. » Je n’aurai jamais pu penser que la musique avait ce pouvoir et c’est en grande partie la résidence aixoise qui m’a permis d’effectuer ce chemin. Tant et si bien qu’aujourd’hui je développe un programme musique et santé, soutenu par Exane Asset Management qui a totalement compris le potentiel de la démarche, aux côtés d’équipes médicales. Un travail qui pourrait déboucher sur un protocole. 
 
© Caroline Doutre
 
Revenons à votre carrière professionnelle au sens strict du terme. Vous allez beaucoup diriger à l’étranger et notamment à la Philharmonie de Berlin. Est-ce une première pour vous ?
 
A Berlin, non ; j’ai déjà eu l’occasion de diriger au Konzerthaus. Mais à la Philharmonie oui, c’est une première et un grand honneur d’avoir été choisi pour suppléer Daniel Barenboïm à la tête de l’orchestre de la Staatskapelle et du Staatsopernchor pour donner la Missa Solemnis de Beethoven. La grande salle est « le » temple de la musique, un endroit mythique où rodent les fantômes glorieux de tous ceux que l’on a admiré. Quant à l’activité du Cercle de l’Harmonie elle est soutenue, avec de nombreux projets – dont la Missa Solemnis, ici même l’an prochain ; une production reprise ensuite dans plusieurs salles en France – des concerts et des enregistrements ...
 
Propos recueillis par Michel Egéa au Grand Théâtre de Provence, le 14 mars 2023 à Aix-en-Provence.
(1) J. Strauss : La Chauve-Souris  (ouverture)/ Dvorak : 2 danses slaves  / Danses hongroises nos 1,3,5 & 10 ; Symphonie n° 3
 
Les concerts des 2 & 7 avril à Berlin, seront précédés, les 25 et 26 mars, de deux soirées Mozart à la Philharmonie de Dresde avec Franceco Piemontesi en soliste
 
Dresde : www.dresdnerphilharmonie.de/en/concerts-tickets/calendarschedule/mozart/?datum=2023-03-25

 
Berlin : www.staatskapelle-berlin.de/en/veranstaltungen/festtagekonzert-staatskapelle-berlin.11127/#event-59692
  
Photo © Caroline Doutre

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