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Tosca selon Christophe Honoré au Festival d’Aix-en-Provence 2019 – La masterclass d’une diva – Compte rendu

Tosca n’avait jamais été donné au Festival d’Aix-en-Provence. Qu’à cela ne tienne, Pierre Audi, le nouveau directeur général, poursuivant sa quête de nouveauté après un "Requiem" d’ouverture qui fait parler (et écrire) a convoqué Christophe Honoré pour mettre en scène le mélodrame. L’assurance d’une lecture renouvelée et d’éviter la chute de la belle Floria, de puis la tour du Château Saint-Ange, à l’heure où elle découvre que son Mario n’a pas été frappé par des balles à blanc.
 

Butterfly, Lucia, Salomé, souvenirs de la gloire passée d'une diva alignés sur un canapé comme autant de dépouilles © Jean-Louis Fernandez
 
Tosca est une icône lyrique. En un air, le « Vissi d’arte », des carrières de sopranos se sont jouées. Un rôle-titre qui n’a échappé à aucune diva de ce siècle, et du précédent, chacune désirant embrasser l’infâme Scarpia d’un baiser mortel en forme de libération de la femme qui, jusqu’alors, avait vécu d’art et d’amour et n’avait jamais fait de mal à âme qui vive. La femme, la diva : dans sa mise en scène, Christophe Honoré réunit les deux pour poser sur elles un regard réaliste et parfois cruel avec, en fil rouge, le personnage de Tosca. Le principe est simple : une distribution se retrouve chez une prima donna pour répéter, sous ses ordres, l’œuvre de Puccini. Comme une masterclass au cours de laquelle l'ancienne doit accompagner une jeune soprano qui embrasse le rôle pour la première fois. Entre mélodrame et réalité, les caractères des uns et des autres vont alors entrer dans la lumière, s’entremêler au point de nous faire plonger dans un état schizophrène entretenu par le travail du metteur en scène qui excelle dans la mise en abyme, conviant, entre autres et par l'image à ce rendez-vous Maria Callas, Régine Crespin, Raina Kabaivanska, la Tebaldi...
 

  Joseph Calleja et Catherine Malfitano © Jean-Louis Fernandez

Certes, on est loin de l’architecture baroque de l’église Sant’Andrea della Valle, des marbres et velours du Palais Farnese et des créneaux du château Saint-Ange. Entre les élans amoureux d’un ténor alcoolique, les souvenirs de ses rôles passés comme autant de robes alignées, telles des dépouilles, sur un canapé, entre la volonté de briller une ultime fois puis de laisser la place, entre ce gigolo pathétique et sans amour serré sur sa poitrine et ces sourires délivrés aux musiciens d’un orchestre devenu acteur à part entière, sur scène, au 3ème acte, la prima donna a vécu son ultime rendez-vous d’art sur la musique de Puccini. Une réelle performance pour Catherine Malfitano (photo à g.) qui a connu des belles heures de gloire il y a une trentaine d’années dans le rôle de Tosca.

Omniprésente sur le plateau, elle livre une prestation étonnante de théâtralité et de sensibilité. A ses côtés, l'Américaine Angel Blue (photo à dr.) qui, effectivement, prend le rôle-titre sur la scène aixoise, passe du statut d’élève à celui de diva à l’issue d’un « Vissi d’arte » à tirer les frissons des plus récalcitrants offert d’une voix souple et franche. Le Cavaradossi de Joseph Calleja, en meilleure forme dans les médiums que dans les aigus, trouve idéalement sa place dans cette mise en scène où il fait lien entre l’ancienne et la nouvelle Tosca. Quant au Scarpia d’Alexey Markov, voix puissante, ligne de chant parfaite, il incarne lui aussi à la perfection la prise de pouvoir de la jeunesse.

Daniel Rustioni © Blandine Soulage Rocca

A la baguette, Daniele Rustioni est le complément direct idéal pour la mise en scène de Christophe Honoré. Le chef, pas encore quadra, se taillant un beau succès à la tête de l’excellent Orchestre de l’Opéra de Lyon, venu à Aix avec son chœur et sa maîtrise, eux aussi superbes. Alors oui, au soir de la première, les bravi adressés aux solistes et musiciens ont cédé la place aux hués pour le metteur en scène et les siens à l’heure des saluts au cœur d’un Archevêché partagé ; oui, le béotien devra se pencher sur le petit Puccini illustré s’il ne veut pas perdre son latin et sa Tosca au cours de la représentation, mais n’est-ce pas le rôle d’un Festival comme celui d’Aix en Provence de dépoussiérer ainsi les classiques ? En la matière, le débat ne semble pas prêt de se refermer ...
 
Michel Egéa

Puccini : Tosca – Festival d’Aix en Provence, Théâtre de l’Archevêché, 4 juillet ; prochaines représentations les 6, 9, 12, 15, 17, 20 & 22 juillet (à 21 h 30). festival-aix.com
 
Retransmission direct le 9 juillet sur France Musique, Arte Concert, Mezzo, France TV, Mezzo
 
 
Photo (Catherine Malfitano et Angel Blue, les divas deviennent sœurs du sang de Scarpia) © Jean-Louis Fernandez

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