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​Thaïs en version de concert au théâtre des Champs-Elysées – Passion débordante – Compte-rendu

 
Voilà bien longtemps que Thaïs n’a plus la cote sur le sol français. Alors que Monaco et Milan, pour ne citer que ces deux villes, se risquent à programmer ce titre en version scénique, Paris doit se contenter de version de concert. Après l’inoubliable incarnation de Renée Fleming et Gerald Finley au Châtelet en avril 2007, le flambeau vient d’être vaillamment repris par le couple Ermonela Jaho et Ludovic Tézier (photo).
 

Ermonela Jaho © DR

 Le baryton n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il vient d’interpréter Athanaël à la Scala aux côtés de Marina Rebeka, après l’avoir chanté avec elle à Monte-Carlo en janvier 2021. Difficile actuellement de faire mieux dans ce rôle dans lequel le français se distingue par la vigueur des accents, la beauté intrinsèque d’un timbre étincelant et une exemplaire diction. D’abord brutal et manipulateur, son personnage perdu dans ses obsessions et son pouvoir de domination perd pied face à la pureté de celle qu’il a voulu convertir, pour s’avouer enfin les vraies raisons de son acharnement. Son cénobite illuminé aux imprécations torrentielles et aux aigus d’airain, se métamorphose alors en un être brisé, miné par ses sens longtemps refoulés, rampant devant celle qu’il aime et qui lui échappe à tout jamais. Grandiose !
 

Pene Pati © Mark Leedom

Ermonela Jaho qui s’était emparée du rôle-titre d’abord à Toulon en 2008, puis à Madrid et à Peralada dix ans plus tard, reprend la partition avec brio. Sans doute fatiguée par une saison bien chargée il y a quatre ans auprès de Domingo (1), la cantatrice parait ici plus reposée, maîtrisant avec plus de sureté ses moyens. La tessiture de Thaïs la dépasse toujours un peu et l’oblige à chercher ses graves, mais il est indéniable qu’elle apporte au personnage toute la séduction de son timbre aux reflets opalescents, la témérité de ses élans dramatiques et la beauté de ses pianissimi filés à l’envi. Musicale et sensuelle devant son miroir (« Dis-moi que je suis belle »), épuisée avant de parvenir au couvent d’Albine (« Baigne d’eau mes mains et mes lèvres »), elle est bouleversante dans le finale, dominant un aigu infiniment dardé.

Le ténor samoan que tout le monde s’apprête à s’arracher, Pene Pati, confère au rôle de Nicias une douceur de trait et une élégance naturelle qui constituent déjà sa marque de fabrique, tandis que Guilhem Worms est un bien monocorde et rocailleux Palémon. Excellent le chœur de Radio France (préparé par Franck Villard), belles interventions de Marie Gautrot (Albine), Cassandre Berthon (Crobyle/la Charmeuse) et Marielou Jacquard (Myrtale), beau National de France dirigé avec un passion débordante par Pierre Bleuse, attentif alchimiste des sonorités exotiques et ensorcelantes de Massenet, auteur d’une bien troublante partition.

Un Thaïs à retrouver en différé sur les ondes de France Musique le 11 juin prochain. 
 
François Lesueur
 

 (1) www.concertclassic.com/article/thais-en-version-de-concert-au-festival-castell-peralada-le-philosophe-et-la-courtisane
 
Massenet : Thaïs – Paris ; Théâtre des Champs-Elysées 9 avril 2022. Diffusion en différé sur France-Musique le 11 juin 2022
 
Photo © Cassandre Berthon

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