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Spectacle de l’Ecole de l’Opéra de Paris - Toute la gamme - Compte-rendu

Le régal annuel, comme on le déguste traditionnellement depuis que Claude Bessy institua ce spectacle qui donne des ailes à l’Ecole de Danse de l’Opéra et comble par sa fraîcheur autant que par le diagnostic qu’il permet de porter sur l’état des troupes. Cette année, Elisabeth Platel, qui a depuis 2004 la lourde tâche de puiser dans un héritage considérable en le gardant adapté aux possibilités des jeunes gens –mais en les obligeant à prendre des risques, car mieux vaut une petite chute qu’une esquisse tiède et économe - a promené son pendule et mis bout à bout trois pièces très contrastées, ce qui ouvre une vaste gamme d’expressions.

Choisi à partir d’un répertoire qui comporte à ce jour 54 titres et que Platel nourrit constamment, le spectacle permet de rendre justice à des chorégraphes souvent oubliés, lesquels, pour n’en être pas majeurs, ont cependant marqué leur temps et fait progresser l’art classique : on se souvient en 2010 de Clustine, et de sa Suite de danses de 1913, précieuse et fine, malgré son caractère apparemment désuet. Cette année, place à David Lichine, lequel eut comme danseur son heure de gloire dans les années 30 et reçut l’enseignement de Bronislava Nijinski, sœur du génie.
C’est à Lichine que l’on doit ce Bal des Cadets de 1940, sur Johann Strauss fils, tous flonflons dehors et manières démodées- le ballet se situe dans la Vienne de 1840, on imagine ! -. Mais le chorégraphe a su glisser derrière ces évolutions réglementaires tant de grâce et d’habileté pour mettre en valeur les jeunes interprètes, avec des morceaux de bravoure craquants, comme l’entrée du tambour, que l’on accepte, à l’époque de Jan Fabre, cette charmante évocation d’un monde qui fut, mais avec des techniques toutes vives : on y a notamment admiré la bravoure de deux superbes fouetteuses, Anaïs Kovacsik et Nine Seropian, transformées en toupies, et l’on sait de quel trac elles peuvent être habitées tout au long de cette périlleuse performance. Pour sa 5e reprise par l’Ecole, ce Bal a montré qu’il avait plus d’un tour dans son sac.

Mets délicat que les Variations élaborées en 1979 par Violette Verdy, à l’époque où, Directrice de la Danse à l’Opéra de Paris, elle se livrait au pur plaisir de servir les danseurs. Appuyée sur les virevoltantes Variations sur un thème de Paganini, de Brahms, Verdy y apporta toute sa science de l’espace scénique, sa délicatesse de rapports, sa subtilité dans l’équilibre des corps, qu’une longue expérience avec Balanchine avait affûtée. C’est là une sorte de balance nonchalante avec dans ses plateaux quelques couples qui se croisent avec désinvolture, sans tension psychologique particulière.
Juste pour l’éclat, tempéré par l’élégance. Un excellent exercice pour les jeunes danseurs, bientôt confrontés à des Forsythe et des Preljocaj qui leur promettent un monde infiniment plus brutal. Si les pieds des demoiselles n’ont pas toujours l’idéale courbure de leur avenir de Sylphide, l’équilibre et la légèreté sont au rendez-vous, tandis que les garçons donnent une leçon de style, ce qui est exceptionnel à leur âge. Ce qui n’est pas le cas de la pianiste, Ellina Akimova, au jeu si lourd qu’il était en contradiction avec la grâce de la chorégraphie.

Mais on ne peut pas toujours rêver, même derrière la tour d’ivoire de Nanterre, et la Symphonie en trois mouvements écrite par Stravinsky en 1946, et chorégraphiée par le grand Néerlandais Nils Christe en 1983, lance les danseurs en pleine tourmente : symphonie de guerre, elle fut introduite dans le répertoire de l’Opéra par Noureev, avec notamment Elisabeth Platel comme interprète, puis reprise par l’Ecole en 2008. Portée par une gestique magnifique, à la fois âpre et harmonieuse, l’oeuvre génère une intense émotion, sur des accents qui montrent combien Stravinsky y avait retrouvé la veine de son Sacre du Printemps, tandis que Nils Christe a, lui, été marqué par la Table verte de Kurt Jooss, ballet emblématique des années 30. Finis le rêve, le sourire, l’insouciance, les danseurs passent ici sous les fourches caudines de la vie et de la mort, entre explosions, afflictions et renaissance. La maturité dont ils témoignent est étonnante.

Reste que nulle personnalité ne s’est véritablement dégagée de cette soirée riche et pleine, contrairement à d’autres années, mais une belle cohésion, galvanisée par la direction comme toujours enflammée de Marius Stieghorst, à qui l’on sait gré de son enthousiasme.

Jacqueline Thuilleux

Spectacle de l’Ecole de Danse de l’Opéra – Paris, Palais Garnier, le 7 avril, jusqu’au 13 avril 2012

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Photo : David Elofer - mention obligatoire ©
 

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