Journal
L’Histoire du soldat au Châtelet – Le Cirque’s Progress – Compte rendu

Si Stravinsky et Ramuz avaient prévu que leur Histoire du soldat serait une forme légère, susceptible de se déplacer aisément dans les plus petits villages, rien n’a jamais interdit d’en donner une interprétation exigeant au contraire les moyens d’un grand théâtre. Sans rien modifier aux effectifs stipulés par la partition – sept instrumentistes, trois récitants – le Châtelet a décidé de faire de cette Histoire un spectacle ambitieux mêlant différentes formes artistiques. Sa durée – quatre-vingt minutes plutôt que la petite heure habituelle – s’explique par quelques instants de pantomime ajoutés, et outre ses décors et costumes, c’est surtout la présence de membres de la compagnie de cirque Pré-O-Coupé qui caractérise cette production.

Quentin Signori (Le Soldat) & Alexandra Poupin (La Princesse) © Thomas Amouroux
Entre théâtre et cirque
Si le lecteur découvre d’abord le décor mobile de Pierre-André Weitz qui émerge de la brume – quelques structures en béton à moitié détruites, parmi lesquelles évoluent des soldats en tenue camouflage – et comprend que la metteuse en scène Karelle Prugnaud situe l’action pendant une guerre d’aujourd’hui, il remarque vite le mélange entre théâtre et cirque, grâce à la présence d’artistes dont la prestation dépasse le simple jeu d’acteur pour relever de l’acrobatie, de l’équilibrisme, de tout ce que l’on voit d’ordinaire sous un chapiteau plutôt que dans une maison de musique et d’opéra. On danse aussi dans ce spectacle, et il n’y manque que le chant, puisque Stravinsky l’a voulu ainsi. Le mini-orchestre (1) dirigé par Alizé Léhon exécute ses numéros successifs avec tout l’entrain attendu, même si sa position vers le fond de la scène, en hauteur, le rend forcément un peu moins audible que les effets sonorisés comme la terrible explosion des premiers instants de la soirée.

Nikolaus Holz (Le Diable) © Thomas Amouroux
Un air de Tom Rakewell
Dans les costumes également conçus par Pierre-André Weitz, le diable est rouge et cornu, au moins une partie du temps, et ses acolytes arborent des tenues renvoyant à l’univers SM, ce qui peut aussi rappeler certains spectacles d’Olivier Py, et notamment son Rake’s Progress, dont L’Histoire du soldat n’a ici jamais été aussi proche. Le soldat qui a vendu son violon au diable en échange d’un livre qui sait tout (un téléviseur, en l’occurrence) ressemble furieusement à Tom Rakewell en proie à l’ennui de la satisfaction des désirs. Vladislav Galard assume crânement le rôle lourd du « Lecteur » ou principal récitant, tandis que Nikolaus Holz (photo), sous ses multiples déguisements, confère au diable cette pointe d’accent à laquelle nous ont habitués les basses russes en Méphistophélès et Peter Ustinov dans une célèbre version discographique de L’Histoire du soldat. La distribution est complétée par le Soldat de Xavier Guelfi, la Princesse d'Alexandra Poupin, et leurs "avatars" interprétés par Quentin Signori, Samanta Fois et Chiara Bagni.
Laurent Bury

(1) Composé de Clara Mesplé (violon), Chloé Paté (contrebasse), Orane Pellon (clarinette), Eugénie Loiseau (basso), Arthur Escriva (cornet à pistons), Robinson Julien-Laferrière (trombone) & Pierre Tomassi (percussions).
Stravinsky / Ramuz : L’Histoire du soldat – Théâtre du Châtelet, samedi 21 juin ; prochaines représentations les 24, 25, 27, 28 & 29 juin 2025 // www.chatelet.com/programmation/24-25/histoire-du-soldat/
Photo © Thomas Amouroux
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