Troyes, 21 mai 1420. En pleine guerre de Cent Ans, Charles VI et Henri V d’Angleterre signèrent un traité qui faisait du souverain anglais l’héritier légitime de celui que l’histoire de France retient sous le nom de Charles « le Fol » – la folie du monarque avait été officiellement reconnue en 1392 ... Cinq ans après la défaite d’Azincourt et deux avant la mort de Charles, le «honteux traité » constituait l’infamant point d’orgue de trois funestes décennies pour le royaume de France.

 
Entre l’Ars subtilior et l’école franco-flamande
 
Reste que le début du XVe siècle fut riche sur plan musical. Co-fondateur en 2017 avec Anabelle Guibeaud de l’ensemble à vent Into the Winds, Adrien Reboisson constate que «  si Guillaume Dufay ou Gilles Binchois sont considérés comme les plus grands compositeurs du second tiers du XVe siècle, la génération de leurs maîtres nous est fort peu familière ». Le multi-instrumentiste et chercheur s’est donc intéressé à des auteurs « actifs entre deux courants majeurs de l’histoire de la musique, l’Ars subtilior (réputé pour sa complexité rythmique et son maniérisme) et l’école franco-flamandes naissante ». Des auteurs tels que Baude Cordier, Nicole Grenon, Jacobus Coutreman, Johannes Le Grant ou Franchois Lebertoul qui, souligne-t-il, « sont les témoins d’une période tumultueuse de l’histoire de France et les acteurs d’une transition stylistique. »
 

Into the Winds (de g. à dr. Laurent Sauron, Marion Le Moal, Rémi Lécorché, Anabelle Guibeaud & Adrien Reboisson © Bertrand Pichène

 
Relief et force évocatrice
 
Le disque « Le Grand Embrasement » que l’ensemble Into the Winds signe chez Ricercar (1) est en fait le fruit d’un spectacle (2) qui mêlait les pièces des auteurs précités ou de contemporains anonymes  – des adaptations pour vents de chansons à trois parties – et des chroniques de l’époque.
L’enregistrement, disponible depuis quelques semaines, ne retient que les éléments musicaux du spectacle, mais conserve sa division en huit chapitres, du couronnement de Charles VI en 1380 à ses funérailles, en passant par la reconnaissance de sa folie, Azincourt et, bien évidemment, le traité de Troyes.
 

© Bertrand Pichène
 
En concert à Poitiers, Tourcoing et Lens
 
Par-delà la présence de pages très rares, qui feront le bonheur des mélomanes férus de répertoire médiéval, la qualité de l’exécution, le relief et la force évocatrice que les cinq instrumentistes (3) apportent à leur chronique musicale du règne de Charles VI ne peuvent que contribuer à rallier un public bien plus large.
On retrouvera ces talentueux souffleurs en concert le 9 décembre, dans le cadre des Midis du TAP de Poitiers, avec un programme « Le Parfaict Danser » (qui fait écho à celui du premier et très bel enregistrement de l'ensemble, sorti il y a deux ans chez Ricercar), puis le 13 décembre au Conservatoire de Tourcoing et, le lendemain, dans la saison du Musée du Louvre-Lens – ces deux derniers rendez-vous étant proposés en contrepoint de l’exposition « Gothique » du musée.
 
Alain Cochard