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Gala 2025 de l’Académie Princesse Grace à l’Opéra de Monte-Carlo – La vraie fête – Compte-rendu

 
 
Ils sont jeunes, beaux, éclatants de fougue et  de joie de vivre, ce qui semble répondre à l’enseignement qui leur est diffusé sous la direction de Luca Masala depuis 2009, et l’autorité de Jean Christophe Maillot, directeur des Ballets de Monte Carlo, structure à laquelle l’Académie Princesse Grace (1) est rattachée depuis quinze ans : un enseignement emprunt de bénévolence et d’un amour passionné pour un art qui est leur raison de vivre, mais qui n’exclut pas la rigueur, comme en témoigne l’excellence de leur gestique.

 

© Alice Blangero

 
L’un des plus beaux viviers dansants du monde
 
Un gala annuel est donc la marque de cette formidable institution, qui compte parmi les meilleures à ce jour, depuis sa fondation il y a cinquante ans, autrefois sous l’égide de la grande ballerine et pédagogue russe Marika Besobrasova, et permet à la cinquantaine de jeunes gens, engagés sur concours dans une tranche d’âge de 13 à 18 ans, d’acquérir une technique impeccable, de s’initier aux différentes démarches de la danse, tout en gardant leur personnalité car c’est elle, plus que d’infinis grand jetés ou déploiements à la seconde, ou encore de fouettés vertigineux, qui leur permettra d’ajouter leur scintillement propre à la compagnie dans laquelle ils serons admis. Et nombre d’entre eux ressortent vainqueurs de compétitions aussi prestigieuses que le prix de Lausanne, où ils ont récolté quatre médailles d’or en une dizaine d’années, outre un nombre important de sélectionnés. C’est dire, car là se trouve l’un des plus beaux viviers dansants du monde.

 

© Alice Blangero

 
Hommage raffiné à la musique française
 
La soirée de l’année, si elle n’est pas un révélateur de futures stars, s’es présentée comme un modèle dans sa conception, car déroulée sous le signe d’une pensée qui relie les divers numéros présentés, et donne un axe à ce déroulement qui pourrait paraître disparate : si l’on dit Alkan, Saint-Saëns, Debussy, Ravel, Satie, Poulenc, Aubry,  sur lesquelles s’enchaînent toutes sortes de chorégraphies, dues à des créateurs qui ne sont pas forcément des vedettes, quel plaisir raffiné et intelligent que cet hommage à la musique française et à une certaine vision de la quête artistique qu’elle impose à ses différents lecteurs.

 

 © Alice Blangero
 
Du rêveur à  l’ultravitaminé
 
En ouverture, ont donc roulé de délicieuses vagues poétiques ou virtuoses, où l’on a particulièrement apprécié la grâce rêveuse imprimée au Clair de Lune de Debussy, pour Larmes de lune signé Francesco Nappa, mettant les bras particulièrement en valeur, puis le balancement sensuel d’Orris de Yahel Hernandez Cruz, sur des Gnossiennes de Satie, la formidable Danse de minuit, de Julieta Martinez, sur la Danse macabre de Saint-Saëns, marquée par des sauts extraordinaires et une énergie cliquetante qui coupait le souffle. Prenant aussi, le solitaire plus que solo de Rom, silhouette errant sur un rivage, soutenu par un extrait du beau recueil Après la Pluie de René Aubry, l’incroyable modernité de l’acide Chemin de Fer d’Alkan, une étude composée en 1844, et pour finir sur un grand bol de vitalité, l’étincelant et nerveux Back on track 61 de Maillot sur le Concerto en sol de Ravel, qui passe comme un galop de pur sangs, bien dans le style ultra vitaminé du chorégraphe.

 

© Alice Blangero

 
De solides engagements déjà
 
Première partie, donc, où on a pu admirer la variété des styles de chacun, la qualité de leur ensemble, la beauté des cous-de pieds, la solidité des pointes, portées par une  jouissance animale et psychique, exaltée par la jeunesse de ces corps vibrants . La joie, assurément, obtenue dans l’effort, mais l’effort conduit par l’enthousiasme.
En deuxième partie, là aussi une belle intelligence prévaut ainsi qu’une vraie générosité : les quelques diplômés de l’année, tout sourire, émouvants à force de croire en leur carrière naissante, se présentent sur grand écran puis effectuent quelques petits tours du plus parfait classicisme, ce qui a permis d’apprécier, si ce n’était déjà fait, le charisme du Brésilien, Hector Jain, dans une variation de La Belle au Bois dormant, le chic glamoureux de la Turque Selen Gür en Esméralda, ou l’exquise grâce de la japonaise Sarika Emi, dont la Giselle fut un modèle d’équilibre sur pointes et de légèreté, pour un profil tout de sobriété racée. Ces jeunes diplômés ont déjà de solides engagements dans des compagnies prestigieuses, Notamment pour Sariko Emi, au Semperoperballet de Dresde, tandis que Hector Jain va lui se présenter au concours de l’Opéra de Paris. Tous, avec des légères failles et de fortes présences, gardent chacun un style et une identité bien perceptibles, qui ne font qu’ajouter à leur incontestable maîtrise

 

© Alice Blangero

 
Un Boléro différent
 
Puis la fête à la française a continué, de façon inusitée, avec Ravel et une délicieuse promenade sur pointes marquant les temps nostalgiques de la Pavane pour une infante défunte, pour finir sur un choc : le Boléro de Ravel, tout simplement. Et là, après un instant d’adaptation, car la version chorégraphique proposée n’est guère axée sur la transe habituelle ou quelque motif central entraînant une sorte d’hypnose, on assiste à une série de tableaux où les danseurs, par petits groupes, viennent illustrer en figures classiques l’évolution du thème ravélien. Garçons et filles alternés, arabesques, sauts, tours, équilibres, quadrilles, ensembles virevoltants alternent des séquences qui sont comme la mise en vedette du savoir classique, avec tous ses codes, portés à leur acmé par un  rythme vainqueur : comme une projection de ce que l’Académie assume avoir à la fois de classique, et de … non académique. Contraste brillant, intelligent, dû au talent de chorégraphe de Michel Rahn, qui fut ici maître de ballet et creuse tout en subtilité les arcanes et l’évolution du métier… La danse sur le Rocher a toujours brillé depuis un siècle. Elle a encore les moyens de le faire.
 
Jacqueline Thuilleux

 

(1) Plus d'infos sur l'Académie :  www.balletsdemontecarlo.com/fr/academie-princesse-grace/formations

 
Monte-Carlo, Opéra –  20 juin 2025.
 
 
Photo © Alice Blangero

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