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​ Spectacle de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris – Les prouesses de la jeune garde – Compte-rendu

 
Ils devaient piaffer d’impatience, tous ces beaux adolescents pressés de retrouver la grande scène pour ces spectacles qui les font vivre et donnent un sens à leur engagement et à leur  travail. Certains qui se produisent aujourd’hui n’étaient que des enfants lorsqu’eurent lieu les dernières programmations de l’Ecole, en 2018. Depuis, la mauvaise humeur des hommes et des virus les avaient tenus éloignés de ce mythique Palais Garnier qu’ils rêvent d’affronter. Et la plupart, quoique formés à une plus vaste compréhension de l’art classique grâce à l’enseignement de la danse contemporaine qui s’ajoute désormais à leurs cours, rêvent encore d’incarner les héros majeurs du classicisme, qu’ils soient issus des rêves romantiques ou repensés par les maîtres du XXe siècle, voire du XXIe.
 

Elisabeth Platel ©  J.-L. Saiz 

Soirées toujours excitantes, donc, car au charme des jeunes interprètes, à leur crainte et à leur enthousiasme mêlés, s’ajoute pour le public le désir de découvrir les nouveaux talents qui bientôt brilleront dans la troupe. Cette année, plus encore qu’à l’accoutumée, car une épidémie de grippe l’empêchait de distribuer ses ballets avec des effectifs fiables, Elisabeth Platel a fait des miracles, et surtout choisi avec intelligence dans la palette que lui offre le répertoire de l’Ecole, de façon à ouvrir aux élèves les multiples approches que leur proposera leur parcours, car leur avenir sera évidemment plus ouvert sur des styles composites qu’il y a quarante ans, tant la danse contemporaine les oblige à d’autres prises de conscience, et à d’autres performances physiques: contrastes auxquels ils doivent être préparés judicieusement
 

Variations ( chor. Violette Verdy) © Svetlana Loboff - Opéra national de Paris 
 
Pour La Somnambule (photo), on revient en 1946, date à laquelle Balanchine composa cette ode à la femme rêvée et fatale, sur une adaptation un peu chargée des musiques de Bellini faite par Vittorio Rieti. Le ballet eut ses heures de gloire dans de nombreuses compagnies, et les danseurs y passent du style des  fantaisies de salon, brillantes et joyeuses, à l’expression dramatique, avec au centre une figure fascinante, cette jeune et belle endormie qui, cheveux longs et blanche tunique,  accomplit tout son parcours en menées sur les pointes, bougie à la main, et entraîne le poète à la mort. Un rôle difficile techniquement, qui demande une parfaite maîtrise du trajet et que Hortense Millet-Maurin, parcourant la scène sur ses pointes fines, a endossé avec infiniment de classe. Le moelleux s’y ajoutera sûrement par la suite. Autour d’elle, de charmantes individualités, jouant le jeu du romantisme avec grâce.
 
On a encore mieux jugé des qualités de ces jeunes classes avec les Variations de Violette Verdy, sur les Variations sur un thème de Paganini de Brahms, jouées par Elina Akimova, et qu’elle offrit en 1979 au Ballet de l’Opéra. Délicieuses variations donc, comme l’était la délicieuse Verdy, infusant son charme et son naturel à quatre couples, qui s’entrecroisent en figures libres, bondissent, virevoltent et pétillent de joie de vivre. On a repéré quelques belles individualités, dont une exquise jeune fille en jaune, et des silhouettes de garçons prometteurs. On taira leurs noms, car ils sont aux portes de la grande aventure : on aura donc bientôt l’occasion de mieux les connaître.
 

Symphonie en trois mouvements ( chor. Nils Christe) © Svetlana Loboff - Opéra national de Paris 
 
Enfin, splendeur de la chorégraphie méticuleuse, puissante, savante, riche de symétries complexes, d’élans parfaitement cadrés , de force vitale, désespérée parfois aussi, de la Symphonie en trois mouvements du Danois Nils Christe, faite en 1985 sur l’œuvre de Stravinsky, qui  fut inspirée au compositeur par son désarroi au sortir des horreurs de la guerre, en 1946. Elle a bénéficié de la battue vigoureuse, réveillant des souvenirs du Sacre du Printemps, du chef Yannis Pouspourikas, à la tête de l’Orchestre des Lauréats du conservatoire. Plus encore que dans les finesses romantiques, la jeunesse violente des danseurs trouve ici à dire ses envies, ses rébellions, et la mise en place de cette complexe polyphonie chorégraphique se révèle parfaite, et intensément vécue. Ce ne sont plus des élèves qui dansent, mais des humains.
 
La carte chorégraphique a donc déroulé ses facettes, et nombre de cambrures, de sauts, de pieds ailés ou agressifs resteront dans les mémoires des heureux spectateurs de cette exaltante démonstration d’énergie et d’envie de rendre  les corps parlant, grâce à un intense travail. Les personnalités émergeront plus tard. Pour l’heure, l’Ecole remplit sa mission, gardienne de ses trésors et dispensatrice de beauté et de vérité.

 
 
Jacqueline Thuilleux

 
Spectacle de l’Ecole de Danse de l’Opéra de Paris - Palais Garnier, le 12 avril ; autres spectacles les 14, 15 et 16 avril 2022 . www.operadeparis.fr
 
Photo ( La Somnambule, chor. G. Blanchine)  © Svetlana Loboff - Opéra national de Paris

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