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Solaris en création mondiale au Théâtre des Champs-Élysées - Espace-opéra - Compte-rendu

L’opéra Solaris est né d’une série de rencontres : entre un compositeur, Dai Fujikura, un librettiste tout autant chorégraphe et metteur en scène, Saburo Teshigawara, et un sujet tiré d’un roman, lui-même objet de transcriptions cinématographiques (par Andreï Tarkovski, puis plus récemment Steven Soderbergh, pour des films au succès mondial). Le roman Solaris (« ensoleillé » en latin), fut écrit en 1961 par l’auteur polonais Stanislaw Lem. Il traite, sous forme de science fiction, d’une planète, Solaris, où les êtres ne sont parfois qu’apparence. Ainsi du personnage féminin central, réincarnation en forme d’image d’un être disparu. Une façon d’interrogation sur l’existence et son essence, comme aurait dit Sartre, sertie d’un décorum de science fiction propice à l’imagination. Émerge ainsi pour notre opéra une conception globale, qui veut que les personnages soient dédoublés, un chanteur doublé d’un danseur ; dans l’esprit de cette trame qui joue sur le double. Il y a aussi une référence à un certain théâtre de marionnettes traditionnel japonais, le bunraku. Une déclinaison de la question du double, de l’absurde, qui ne serait pas si éloignée du théâtre de Beckett.

Dai Fujikura © Philippe Gontier

 
La création mondiale revient au Théâtre des Champs-Élysées, avant une reprise à l’Opéra de Lille puis à l’Opéra de Lausanne. Cet opéra dû à deux Japonais, mais à destination d’un public européen, s’y affirme une franche réussite. Musicalement, tout d’abord. Sous le patronage de l’Ensemble Intercontemporain et de l’Ircam (pour un subtil traitement électroacoustique réalisé par Gilbert Nouno), on pouvait craindre une musique complexe, certes, mais quelque peu rébarbative. Que nenni ! C’est une sonorité chatoyante, enveloppante, qui se dégage des quatorze instruments de la fosse, de leurs échos sur le chant du plateau et de sa répercussion électronique dans la salle même. Une « musique en 3D » ! à l’instar de certaines images projetées sur scène (pour lesquelles invite est faite à chausser des lunettes « 3D »).
 

© Vincent Pontet
 
Le chant tient, il est vrai, de la déclamation, qui pourrait rendre l’ensemble lancinant. Mais l’écueil est évité. Par une variété des interventions vocales, mais aussi par l’animation du plateau. En regard de chanteurs plantés droits et statiques à l’avant ou l’arrière-plan, leur double dansé s’agite de manière incessante dans une expression qui donne alors tout son relief au dire chanté. La scène est pourtant réduite à un simple cadrage, presque à sa simple expression : une boîte immaculée, violemment éclairée et propice aux ébats animés ou aux poses statuaires. Mais c’est ainsi que le charme opère.
 

© Vincent Pontet
 
Saluons les participants de ce succès. À commencer par les chanteurs (Leigh Melrose, Tom Randle, Callum Thorpe, Marcus Farnsworth), tous excellents bien que sonorisés, électroacoustique oblige, et en particulier Sarah Tynan dans un rôle principal bien lancé de Hari (l’héroïne à l’image douteuse). Excellents tout autant les danseurs (Rihoko Sato, Václav Kunes, Nicolas Le Riche, Saburo Teshigawara). Et les instrumentistes de l’Ensemble intercontemporain, sous la direction d’Erik Nielsen.
 
Pierre-René Serna
 
 
D. Fujikura/S. Teshigawara : Solaris – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 5 mars 2015, prochaines représentations à l’Opéra de Lille les 24, 26 et 28 mars (opera-lille.fr )& à l’Opéra de Lausanne les 24 et 26 avril 2015 (www.opera-lausanne.ch)

Photo © Vincent Pontet

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