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Une interview de Boris Blanco, directeur général du Festival de La Chaise-Dieu – « Nous avons réussi à actualiser le modèle du festival et à le rendre pérenne. »

 

 
Véritable institution dans le paysage musical français, le Festival de la Chaise-Dieu franchira le cap de la 60édition l’an prochain. En forme resplendissante ! À sa direction générale depuis 2022, Boris Blanco (photo) a su apporter une impulsion dont l’évolution considérable de la fréquentation traduit les effets positifs. Du 20 au 30 août,  la 59e édition, répartie sur 24 communes et 3 départements, offre une programmation aussi diversifiée que qualitative et, il convient de le saluer, remarquablement ouverte aux talents de la nouvelle génération. Concertclassic a interrogé Boris Blanco sur le chemin parcouru depuis son arrivée et la troisième édition – « partition », préfère-t-il dire – sur laquelle il pose sa signature.

 
Vous avez pris la direction générale du festival en 2022 ; l’édition 2023 était la première de votre main. Nous sommes en 2025 : par rapport à vos objectifs de départ comment considérez-vous l’évolution de la manifestation ?
 
On a parcouru du chemin, dans la direction que j’attendais ! Artistiquement nous avant lancé, et réalisé, de belle choses : le cycle Beethoven de l’Orchestre Consuelo de Victor Julien-Laferrière, avec la sortie du premier volume de l’enregistrement (chez b. records), mais aussi la création l’an passé de Répons du Baptême de Thomas Lacôte. Une création mondiale pour solistes, chœur et orchestre dans un festival en France, il n’y en a pas mille tous les ans. Nous l’avons fait et bien fait ; c’est vraiment une belle œuvre dont je suis très fier. Nous avons aussi lancé Génération Chaise-Dieu ; un vrai succès et un puissant outil de démocratisation de la musique consistant à proposer dans de petites communes des concerts gratuits avec de jeunes ensembles de musique de chambre.

 

Victor Julien-Laferrière poursuit son intégrale Beethoven avec l'Orchestre Consuelo les 25 & 26 août © Jean-Baptiste Millot

 
 
« Il y a une évidente satisfaction à avoir fait grandir le festival, à la fois par des projets qui ont du sens et par un nombre accru de concerts. »
 
 
 
Quid de la fréquentation ?
 
Le public est passé d’un total de 17 000 personnes en 2022 à 23 000 l’an dernier : c’est une avancée assez colossale. Il y a une évidente satisfaction à avoir fait grandir le festival, à la fois par des projets qui ont du sens et par un nombre accru de concerts. Il y en avait 25 au moment de mon arrivée, on en dénombre 33 cette année. Cela en équilibrant le budget et en ayant rendu le modèle du festival pérenne. La satisfaction est d’autant plus grande que la période n’est pas facile. Nous sommes parvenus à développer de beaux projets : une résidence des Siècles l’an dernier, la première venue de l’Orchestre national du Capitole cette année (un programme Dvorak-Moussorgski 29 août, Bruckner-Wagner le 30, sous la direction de Nicholas Carter).
Quand je me retourne sur la période écoulée, il y a évidemment des projets qui n’ont pas pu se réaliser, et c’est normal, mais la satisfaction tient à ce nous avons réussi à actualiser le modèle de la Chaise-Dieu et, j’y reviens, à le rendre pérenne. Nous avions l’an passé 149 bénévoles dont 40% ont moins de 30 ans, preuve d’une dynamique, d’une énergie autour du festival : cela fait partie d’un ensemble de signaux positifs qui vont dans le bon sens. 

 
 
« Le territoire a toujours été un enjeu, un enjeu très fort que j’ai moi aussi cherché à développer. »

 

L'Escadron Volant de la Reine, le 28 août à Marlhes © escadron.com 

 
 
33 concerts sur 24 communes : le festival ce sont évidemment le concerts à l’Abbatiale Saint-Robert et à l’Auditorium Cziffra, mais on compte aussi de nombreux rendez-vous autour de La Chaise-Dieu. Dites m’en plus sur ce rayonnement territorial ...
 
Quand je suis arrivé au festival, et dès que j’ai commencé à l’étudier avant d’y arriver, je connaissais la dimension musicale qui fait la légende de La Chaise-Dieu. En tout cas, dans mon esprit, c’était ce qui faisait la légende du festival. En le vivant, j’ai aussi découvert une dimension humaine, très importante. Environ 150 bénévoles tous les ans, avec parfois plusieurs générations d’une même famille présentes en même temps !
La dimension territoriale est cruciale pour plusieurs raisons. D’abord parce que la Chaise-Dieu est en Haute-Loire, mais à l’orée de la Loire et très proche du Puy de Dôme. Par conséquent le territoire de la Chaise-Dieu, le territoire casadéen, se partage entre trois départements. Le territoire a toujours été un enjeu, en tout cas depuis très longtemps, un enjeu très fort que j’ai moi aussi cherché à développer. Ce de plusieurs manières.
La première est que parmi les trente-trois concerts payants du festival, il y en a huit dans des communes qui ne sont pas La Chaise-Dieu. On en fait un dans le Puy de Dôme et deux dans la Loire, notamment à Marlhes, une toute petite bourgade avec une église à l’acoustique magnifique où se produira L’Escadron Volant de la Reine (le 28 août).

 

Le Quatuor Absalon, dans la série Génération Chaise-Dieu le 22 août à Saint-Bonnet-Le-Chastel © Benedikte Hald

La deuxième manière, qui est pour moi encore plus puissante et qui me tient à cœur parce que c’est vraiment un projet que j’ai lancé et auquel je crois, c’est la Génération Chaise-Dieu. Au-delà de l’aspect découverte de jeunes musiciens, il faut souligner que ceux-ci donnent deux concerts tous les jours dans de petites communes. Et quand je dis petites communes, sur les quinze visitées l’an dernier, il y en a quatorze qui font moins de huit cents habitants. Ce sont vraiment de petits villages ; le plus petit compte soixante habitants. C’est une manière d’aller vers des gens qui n’habitent pas très loin de La Chaise-Dieu – à trois quarts d’heure, une heure de route grand maximum –, un moyen de toucher des gens qui ne viennent pas au festival pour une raison x ou y et de leur dire : « regardez, le festival vient chez vous, dans votre petite église, on va faire de la musique et ce sera gratuit. Vous allez avoir un rapport très direct avec de jeunes artistes, avec lesquels il vous sera possible de parler après le concert. » Et ça marche ! L’année dernière, 2500 personnes se sont déplacées sur ces quinze concerts, sachant, je le répète, que certains ont eu lieu dans une bourgade d’une soixantaine d’habitants où 150 personnes étaient présentes.
Cette démarche aboutit à un maillage territorial très fin : avec 24 communes, on peut vraiment aller partout autour de La Chaise-Dieu. Et cela permet surtout de toucher plusieurs catégories de gens. Des vacanciers mélomanes qui ont envie de musique classique et vont venir. Mais aussi des personnes qui ne sont peut-être jamais venues à un concert de leur vie, qui n’avaient jamais imaginé y aller et qui vont aller une fois à Génération Chaise-Dieu, peut-être deux fois, trois fois et, finalement se décider à venir au festival.

 
 
« Cette église d’Esteil, il est normal que tous les ans ont y entende de la musique, parce qu’elle est belle, parce que le territoire est beau ! »

 
 
On en mesure déjà les effets ?
 
Il est un peu trop encore, mais nous ferons l’étude. Nous n’en sommes qu’à la troisième année de Génération Chaise-Dieu. Il s’agit justement d’un engagement territorial qui doit se faire sur la durée et que l’on ne doit pas chercher à mesurer sur seulement un ou deux ans. C’est une manière de mettre la musique partout pendant deux semaines fin août, parce que c’est notre mission. Ce village de 60 habitants dont je vous parlais s’appelle Esteil. Cette église, il est normal que tous les ans ont y entende de la musique, parce qu’elle est belle, parce que le territoire est beau !

 

Nicholas Carter dirigera l'Orchestre national du Capitole pour a première venue de la phalange toulousaine à La Chaise-Dieu, les 29 et 30 août © Caspar Martig

 
« Chaque segment du répertoire est pris par le biais du très haut niveau. »

 
 
 
De la musique ancienne au contemporain, du récital au symphonique et aux grandes fresques chorales, La Chaise-Dieu est un festival généraliste, sans thématique précise. S’il fallait tracer un portrait rapide de l’édition 2025, quels vous paraissent en être les traits saillants ?
 
Nous somme en effet un festival généraliste, ce qui ne veut pas dire faire tout n’importe comment. Quand nous faisons de la musique baroque par exemple, on reçoit le Concert Spirituel pour le Messie et le Banquet Céleste pour la Résurrection de Haendel. Du symphonique ? C’est l’Orchestre national du Capitole, entre autres, qui vient pour deux concerts. Chaque segment du répertoire est pris par le biais du très haut niveau. Et chacun peut y voir la thématique qu’il veut. Pour les amateurs de baroque et d’oratorio, la journée Haendel du 22 août à l’Abbatiale Saint-Robert sera un moment particulier, avec la Résurrection à 15h et le Messie à 21h. Toujours dans l’acoustique très particulière de ce lieu, le 30 août, les amateurs de musique symphonique pourront écouter la 4eSymphonie de Bruckner par l’Orchestre national du Capitole l’après-midi et la 2Symphonie de Rachmaninov par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg en soirée.

 

Hervé Niquet dirigera le Messie lors de la journée Haendel du 22 août © Henri Buffetaut

 
« Nous allons nous diriger vers le 60e festival en musique, mais aussi en menant un travail sur la mémoire. »

 
Quelques mots pour conclure sur les mois qui s’écouleront d’ici au prochain festival, sur les activités de la Chaise-Dieu hors saison et sur la perspective d’une 60édition pour laquelle, on l’imagine, vous marquerez le coup ?
 
Nous allons en effet marquer le coup ! Nous avons ce que nous appelons un « festival en saison », qui consiste à accueillir de jeunes ensembles – nourris et logés – pour des résidences d’une semaine. Ils ont l’Auditorium Cziffra à leur disposition – un magnifique outil de travail –  et au terme de la résidence ils donnent un concert de restitution. L’an prochain nous aurons à nouveau un cycle « festival en saison » à partir de cinq résidences.
Et nous allons nous diriger vers le 60e Festival en musique, mais aussi en menant un travail sur la mémoire. Je suis musicien, un festival c’est évidemment la musique qui s’y joue mais également, pour ce qui concerne La Chaise-Dieu, soixante ans d’aventures humaines, de transformation de l’éco-système du festival, du village, de la ruralité – car le festival est implanté dans la grande ruralité. Se retourner vers les six décennies écoulées, pour se tourner vers les soixante ans qui viennent !
Je peux déjà vous annoncer que le Festival 2026 comportera une nouvelle création sacrée pour solistes, chœur et orchestre. Il est trop pour dévoiler le nom du compositeur, mais sachez que les résidences dont je vous ai parlé offriront l’occasion d’un travail avec lui.

 
Propos recueillis par Alain Cochard, le 6 juin 2025

 

 Festival de la Chaise-Dieu
Du 20 au 30 août 2025
Programmation détaillée :  https://www.chaise-dieu.com/
 
Photo © Bertrand Pichène - FLCD

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