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Simon Rattle dirige The Orchestra of the Age of Enlightenment au Théâtre des Champs-Elysées - 1880 viennois dans tous ses états - Compte-rendu

Pour sa venue au Théâtre des Champs-Élysées avec l’Orchestre de l’Âge des Lumières, Simon Rattle a l’idée lumineuse de mettre en regard trois pages germaniques exactement contemporaines. C’est ainsi que l’Ouverture tragique de Brahms (1880) tient compagnie au Scherzo de la Symphonie n°1 de Hans Rott (1880, pareillement) et à la Symphonie n° 6 de Bruckner (composée en 1879-1881, bien que créée dans son intégralité en 1899). Reflets d’un même temps, dans un même lieu, Vienne, avec trois œuvres et trois compositeurs que tout différencie. C’est aussi une manière de présenter différentes facettes de l’art de ses interprètes.
 
Étrangement, dans Brahms, la lecture se fait sage, dans la tradition brahmsienne si l’on peut dire, avec ces élans, mais aussi cette retenue, d’un néo-classicisme de bon aloi (y compris quelques vibratos des cordes, pour cet orchestre de style et instruments d’époque). Avec la page de Rott (1858-1884, mort avant son vingt-sixième anniversaire dans un asile psychiatrique), autre atmosphère : sarcastique, dans des sautes d’humeur et de délire, dont Mahler héritera et se revendiquera, d’une phalange devenue verte et acerbe.
 
La Sixième de Bruckner verse dans un tout autre propos. Large, étendue comme sa dynamique, portée par un souffle inspiré. L’Adagio se tend dans un moment sans fin, à l’instar de ses extatiques effluves où l’accent revient à une délicatesse ineffable (qui est celle de toute cette symphonie, si malaimée du grand public). Alors que le Scherzo se prend d’un transport de touches miroitantes. Le quatrième mouvement suit, dans une même ligne détaillée parcellaire, à laquelle manque cette fois une certaine architecture. Tant il semble qu’à aller aux tréfonds, qu’à sonder chaque entrelacs, l’arc peut parfois se détendre.
Mais ne boudons pas une lecture d’une exemplarité dans sa finesse, propre à servir de jalon : un Bruckner dégagé de toute pâte, rendu à son essence première. Entre Rattle et la formation prototype des ensembles à vocation « d’époque » – ici, 1880 – l’alliage prend.

© Thomas Rabsch

Pierre-René Serna

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Paris, Théâtre des Champs-Élysées, 20 avril 2016.

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