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Sergey Khachatryan, Tugan Sokhiev et l’ONCT à Pleyel - Princes alliés - Compte-rendu

Tout juste rentrés de deux concerts en Russie (Moscou et Saint-Pétersbourg), Tugan Sokhiev et son Orchestre du Capitole de Toulouse retrouvaient Pleyel dans un programme Liadov, Khatchaturian et Elgar – le premier des trois concerts qu’ils donnent cette saison rue du Faubourg Saint-Honoré.(1)

Musique immobile, tout à la gloire du timbre instrumental, Le Lac enchanté souligne la maîtrise du jeune directeur musical et les progrès extraordinaires qu’il a permis à son orchestre d’accomplir depuis 2005 (orchestre il est vrai rajeuni par le jeu des départs à la retraite et l’arrivée de nouveaux et brillants éléments, mais aussi par la création de postes supplémentaires). Sokhiev dose et distille les couleurs avec une subtilité rare : l’hypnotique féérie de l’étonnante pièce de Liadov s’exerce pleinement.

Quant un prince de la baguette rencontre un prince de l’archet on peut légitimement s’attendre à des merveilles : elles se sont produites ! A vingt-neuf ans, Sergey Khachatryan (photo) est l’un des plus immenses violonistes de notre époque – on oublie parfois un peu cette évidence en France. Après avoir signé il y a quelques mois un fabuleux enregistrement (2) des trois Sonates pour violon et piano de Brahms (réalisé avec la complicité de sœur Lusine) – un CD qu’à titre personnel nous n’hésitons pas une seconde à classer parmi les plus beaux disques de musique de chambre réalisés depuis une décennie -, l’instrumentiste s’alliait donc à Sokhiev et aux Toulousains dans le Concerto de Khatchaturian.

Khachatryan est certes un immense virtuose, mais d’abord un poète et un artiste. Et c’est en poète qu’il aborde une partition qui peut facilement verser dans l’académisme clinquant. Richesse et profondeur de la sonorité, délicatesse des nuances, art de la demi-teinte (admirable cadence du 1er mvt !), pureté de la ligne, rejet tout effet racoleur : on reste coi devant pareille interprétation, le prégnant lyrisme du mouvement central, l’enivrante fête du final (où la manière dont le chef dompte l’orchestre l’aide grandement). Le jeune Arménien réinvente littéralement l’Opus 46, tout comme la 3ème Sonate d’Ysaÿe dont il gratifie l’auditoire en bis après le triomphe mérité qu’il lui a réservé.

En seconde partie, les Variations Enigma d’Elgar rappellent que Sokhiev s’intéresse à bien d’autres répertoires que la musique russe. Il assume pleinement le foisonnement lyrique d’une partition où les divers pupitres de l’ONCT sont mis en valeur, tout en conservant une forme de distance qui lui permet de creuser de façon très personnelle le caractère de chacune des variations. Un Elgar aussi singulier que captivant.

Alain Cochard

(1) les deux prochains auront lieu le 5 février (une version de concert de Boris Godounov avec Ferruccio Furlanetto dans le rôle-titre) et le 5 juin (avec le violoncelliste Narek Hakhnazaryan).

(2) NAIVE V 5314

Paris, salle Pleyel, 31 octobre 2013

DR

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Photo : Marco Borggreve
 

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