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Samson et Dalila à Saint-Etienne – Plein les yeux à Gaza – Compte rendu

Représenter aujourd’hui un opéra dont l’action se situe à Gaza et oppose les Hébreux à leurs ennemis pourrait être un pari risqué, à l’heure où certains metteurs en scène aiment encore recourir à l’actualisation paresseuse et à faire manier la kalachnikov à des figurants. Par bonheur, l’Opéra de Saint-Etienne, en important une production allemande, venue de Kiel, nous épargne le pitoyable spectacle de Philistins changés en nazis ou d’Hébreux devenus des migrants.
Quand les corps composent un décor mouvant ...
Comptant avec raison sur la force de la partition et du livret, Immo Karaman choisit de montrer, de manière presque abstraite, l’opposition entre deux groupes, l’un dominant, l’autre dominé, l’un vêtu de blanc, l’autre de noir, mais que la forme de leurs habits ne distingue en rien : tous, hommes et femmes, arborent veste et pantalon. Parmi les danseurs, même tendance unisexe, avec robes pour les messieurs comme pour les dames ; les divers ballets inclus dans la partition justifient amplement leur présence, qui est un des éléments-clefs de la mise en scène : la chorégraphie de Fabian Posca, également signataire des costumes, est intégrée au spectacle de bout en bout, avec un résultat en tout point réussi. Dans une scénographie réduite au strict minimum – un fond blanc où sont parfois projetées des images elles aussi presque abstraites, une table, des chaises, des armoires – ce sont les corps qui composent un décor mouvant, les dix danseurs entourant les protagonistes pour prolonger leur geste avec éloquence (mais il leur arrive aussi de sortir de scène lors des moments d’intimité). Pour une fois, Dalila n’a l’allure ni d’une danseuse du ventre ni d’une gourgandine, et Samson réussit à nous convaincre qu’il est à la fois guidé par une inspiration divine et tourmenté par un amour terrestre.
Un superbe distribution et ... une révélation !
Pour sa prise de rôle, Florian Laconi a donc bénéficié d’un spectacle qui sort des routines diverses, et qui arrive même à lui faire assumer sans un seul instant de ridicule la très longue perruque brune imposée à Samson. Vocalement, le ténor semble s’approprier la partition sans rencontrer de véritable difficulté, et la vaillance est au rendez-vous ; la fréquentation du rôle lui permettra d’accentuer davantage le côté héroïque du personnage. Quant à Marie Gautrot, on se régale de sa prestation constamment habitée, jointe à une voix qui rend à cette Dalila pleine de noblesse les couleurs qu’on attend d’elle. Si « Printemps qui commence » ravit par la délicatesse du phrasé, « Amour, viens aider ma faiblesse » semble curieusement moins assuré, mais « Mon cœur s’ouvre à ta voix » est superbe. Surprise avec le Grand-Prêtre de Philippe-Nicolas Martin, dont la carrière semble prendre un tournant légitime vers des emplois plus exigeants : on regrette son maquillage de clown blanc, mais l’incarnation mérite d’être saluée. Alexandre Baldo profite de la courte intervention d’Abimélech pour composer un personnage plein de prestance et de mépris sarcastique. Impressionnante découverte avec le (juvénile, mais qu’importe) vieillard hébreu de Louis Morvan : un authentique timbre de basse qui laisse espérer bien des prises de rôle, un véritable talent à suivre.
Un chœur et un orchestre à leur meilleur
Dans une œuvre qui le sollicite beaucoup, surtout au premier acte, le Chœur Lyrique Saint-Etienne Loire préparé par Laurent Touche fait merveille, et l’on savoure les pages de Saint-Saëns comme on se délecterait du Messie. L’Orchestre symphonique Saint-Etienne Loire trouve en Guillaume Tourniaire un chef apte à restituer les beautés d’une œuvre qui intimide parfois : si le premier acte se déroule avec des tempos modérés, les danses sont prises à un rythme beaucoup plus vite, et la tension ne se relâche plus jusqu’à la fin de la représentation.
Laurent Bury

Saint-Saëns : Samson et Dalila - Saint-Etienne, Opéra Théâtre, 9 mai ; prochaines représentations les 11 (15h) et 13 mai 2025 // opera.saint-etienne.fr/otse/saison-24-25-1/spectacles//type-lyrique/samson-et-dalila/s-800/
Photo © Cyrille Cauvet
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