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​Saint-Sulpice fête les 80 ans de Daniel Roth – Un trait d'union entre la France et l'Allemagne – Compte-rendu

 

Si le Cavaillé-Coll (1862) de Saint-Sulpice représentait pour l'illustre Aristide un « trait d'union entre l'art ancien et l'art nouveau », Daniel Roth, tant le musicien que le pédagogue, apparaît tel un trait d'union entre la France et l'Allemagne – après avoir enseigné à Marseille, Washington, Strasbourg et Sarrebruck, il fut appelé à la Musikhochschule de Francfort au poste avant lui occupé par Helmut Walcha puis Edgar Krapp. Et c'est d'Allemagne qu'est venue la programmation d'un Festival Daniel Roth (photo) en l'honneur de ses quatre fois vingt printemps, à l'initiative de Bernhard Schmidt, fondateur en 2000 du chœur de chambre Canta Nova Saar et chef, depuis 2013, du John Sheppard Ensemble Freiburg (créé en 1995) – entre autres chœurs placés sous sa direction.
 
Du 28 octobre au 1er novembre furent proposés cinq concerts pour un même programme diversement réparti entre les interprètes, le premier à Mulhouse (ville natale de Daniel Roth), le dernier à Freiburg-im-Breisgau (St. Urban, quartier historique de Herdern), via Saint-Joseph de Besançon, Saint-Pierre-le-Jeune de Strasbourg et donc Saint-Sulpice, où Daniel Roth est titulaire du Cavaillé-Coll depuis 1985. Tous les concerts furent donnés par le John Sheppard Ensemble, seul le concert parisien y ajoutant le Canta Nova Saar, soit une cinquantaine de choristes des deux chœurs réunis.
 

Le Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice @ Mirou
 
Bien que pas à proprement parler d'esprit festif, le programme musical tripartite témoignait d'une recherche assurément convaincante. Première partie : le rôle d'Albert Schweitzer – auquel Daniel Roth attribue sa propre vocation d'organiste – auprès de son maître Charles-Marie Widor, auquel il révéla l'importance du choral luthérien et des textes mis en musique par Bach, découverte qui devait éclairer l'édition Bach de Widor. Deux chorals de l'Orgelbüchlein entouraient ici l'un des Chorals Schübler, par Daniel Roth au grand orgue, aux pièces d'orgue répondant chaque fois le pendant chanté : l'occasion d'entendre la tradition vocale luthérienne dans toute sa splendeur, soulignant les liens qu'elle entretient avec l'orgue de Bach.
 
Deuxième partie : hommage à la Vierge, à laquelle le « vœu de Louis XIII » consacra le royaume dans l'espoir d'un héritier. Subtil et complexe Ave Maria (a cappella) de Bruckner, compositeur apprécié de Daniel Roth, puis, de ce dernier, deux extraits de son Livre d'Orgue pour le Magnificat de 1995-1999 (Et misericordia, Gloria), suivis du sobre et lumineux motet pour six voix en double chœur (chœur mixte & chœur d'hommes) et orgue Regina caeli de Widor, second de ses motets op. 18 de 1874 composés pour Saint-Sulpice. Déjà enregistré pour l'album ifo Records La Tradition de Saint-Sulpice (2004, Mainzer Figuralchor), l'œuvre l'a de nouveau été en 2019 (Spektral), Bernhard Schmidt dirigeant les deux chœurs entendus lors de ce concert à Saint-Sulpice (1).
 

Iubilus – la transmission du feu, dernière partie du concert, fit retentir deux motets de Daniel Roth, commande de Bernhard Schmidt, donnés en première audition à la Stiftskirche de Stuttgart le 9 septembre 2022 par le chœur Canta Nova Saar, avec à l'orgue le compositeur, tous naturellement dirigés par le commanditaire et dédicataire, motets repris à chacun des concerts de l'automne : Jubilate Deo (2020) pour chœur à quatre voix mixtes, d'une jubilatoire et fort exigeante rythmique, presque l'équivalent, sur le versant vocal, virtuose et a cappella, d'une toccata française pour grand orgue symphonique ; O filii et filiae pour double chœur mixte à huit voix et orgue (2021-2022) – avec toujours Daniel Roth lui-même en tribune : une œuvre d'envergure, d'un souffle saisissant et d'une modernité d'écriture aussi dynamique que séduisante, renouvelant invention et écriture au fur et à mesure des douze strophes que compte cette hymne fameuse du temps de Pâques et mettant en exergue les inflexions du texte poétique. Entre les motets, la Cantilène de la Symphonie « Romane » de Widor : les fonds à la toute fin étaient sublimes, même si le grand Cavaillé-Coll est présentement fatigué, sans doute éprouvé par la chaleur et la sécheresse de l’été, d'autant que les derniers grands travaux – un relevage, pas une restauration – ont déjà trente ans (Renaud, 1991). Mais Widor sur son orgue et joué de la sorte, le charme ne peut qu'opérer. En bis, touchant hommage à celui qui fut un temps organiste de chœur de Saint-Sulpice, Gabriel Fauré : Cantique de Jean Racine.
 
Et il n'est pas trop tard pour souhaiter à Daniel Roth : Alles Gute zum Geburtstag !

 
 
Michel Roubinet

(1) CD Musique à Saint-Sulpice – Œuvres de Roth, Grunenwald, Dupré, Widor, Fauré, Schmitt, Lefébure-Wely.
www.aross.fr/produit/cd-spektral/
www.spektral-records.de/alben/musique-a-saint-sulpice/

 
Paris, église Saint-Sulpice, 29 octobre 2022
Prochain récital : Olivier Latry, dimanche 20 novembre à 16h30

Daniel Roth
www.danielroth.fr
 
Bernhard Schmidt
www.schmidt-bernhard.com

 Photo © Joe Vitacco

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