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Roméo et Juliette à l’Opéra Bastille - Opulent - Compte-rendu

Voilà bien la plus belle production réalisée par Noureev pour l’Opéra de Paris, avec La Bayadère, et que la maison reprend régulièrement avec un égal succès. Si La Bayadère fut son chant du cygne, en hommage aux trésors patrimoniaux du Kirov, Roméo fut pour lui un point sensible tant il l’avait porté au sommet à l’époque de son fabuleux duo londonien avec dame Margot Fonteyn, de vingt ans son aînée, et qui fut pourtant sa Juliette idéale dans la chorégraphie de Kenneth Mac Millan à Covent Garden.

Noureev était fascine par la renaissance italienne et il a viscéralement rendu la verdeur, la grossièreté triomphante, la violence et l’orgueil de la société en perpetuum mobile que portait cette époque à la fois lumineuse et féroce. Ses ensembles sont, comme il ne lui est pas habituel, parfaitement emboîtés, et clairs dans leur tourbillonnante énergie et leurs rixes incessantes. Tableaux chocs, combats palpitants, exaltés par l’opulence mordorée des décors et costumes de Ezio Frigerio et Mauro Pagano, très fidèles à l’esthétique du quattrocento. La partie la moins réussie est incontestablement celle dévolue aux deux amants, manquant de grâce et de lyrisme, et moins prenante que la toile de fond sur laquelle se déroule leur drame.

Reste que les deux rôles puisent à la légende, et sont convoités par tous les danseurs : au sein de multiples distributions qui donnent leur chance aux étoiles de demain, on a admiré en Juliette la classe et la beauté d’une Agnès Letestu transcendée par la déchirure du rôle, on aurait apprécié également la prise de rôle de Myriam Ould-Braham, et celle d’Isabelle Ciaravola, dont la fluidité aura apporté quelques courbes aux dures lignes dessinées pour Noureev. Dures, à vrai dire, pour les garçons, auxquels il fait exécuter des pas affreusement compliqués, au rebours de la tendance naturelle de leur enseignement et de leur corps, et ceci pour un moindre résultat. Cruauté d’un artiste qui ne pouvait plus lui-même incarner de tels rôles et effectuer de telles performances. On peut se poser la question.

Face à Letestu, sûre et solide, Florian Magnenet, premier danseur mis en valeur par sa prise de rôle en Roméo, a su triompher de ces embûches, malgré une certaine fragilité dans sa façon tendre de camper le personnage, d’ailleurs voulu par Noureev comme moins mâture que Juliette. Autour d’eux, on a admiré l’engagement et l’enthousiasme d’une troupe explosive, dominée par plusieurs seconds rôles masculins éblouissants: du bondissant Mercutio d’Emmanuel Thibault au Benvolio du superbe Yann Saïz, et à l’arrogant Tybalt de Stéphane Bullion. Une fresque certes, dont la musique de Prokofiev supporte les moindres détails et secoue de ses couleurs tranchées et de ses élans grandioses ou grandiloquents. Dans la fosse, Vello Pähn, une fois de plus, montrait sa fusion avec la danse, lui que John Neumeier, à Hambourg, engage si souvent pour diriger ses œuvres, lesquelles reposent, on le sait, sur Bach ou Mahler !

Jacqueline Thuilleux

Prokofiev : Roméo et Juliette (chor. R. Noureev), 14 avril, jusqu’au 30 avril 2011.

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Photo : DR
 

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