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Rencontre avec Valérie Chevalier, Directrice générale de l’Opéra Orchestre national de Montpellier Languedoc-Roussillon – Un projet différent - Saison I

On entame la conversation avec Valérie Chevalier (photo) alors qu’elle sort tout juste, enthousiaste, de la présentation des maquettes de L’Hirondelle inattendue de Simon Laks que l’on découvrira sur la scène de l’Opéra Comédie en décembre prochain. Une rareté qui illustre bien le « projet différent » que la directrice générale de l’institution montpelliéraine (en poste depuis la fin décembre 2013) entend mettre en œuvre. Après une saison 2014-2105 encore signée de son prédécesseur, Jean-Paul Scarpitta, V. Chevalier entame donc « sa » première saison.
 
Dès son arrivée à Montpellier, elle aura eu à se pencher sur d’épineuses questions financières et administratives. « Les décisions sont prises, explique-t-elle. Il fallait absolument retrouver des ressources propres pour l’artistique dont la part s’est beaucoup réduite sur les dernières années, pour diverses raisons. J’ai passé les derniers mois à travailler sur un plan de départ volontaire ; un travail difficile, en concertation avec les délégués du personnel. Il s’agit d’un plan sur trois ans - avec un nouvel organigramme que j’ai présenté au conseil d’administration - consistant à supprimer dans les deux-trois ans qui arrivent 30 postes sur un total de 240 : une dizaine sur l’orchestre, une dizaine dans l’administration et huit répartis entre la technique et la maintenance. En revanche, on ne touche pas au chœur : 30 personnes sur le papier, 27 dans les faits depuis des années car il y a eu des postes gelés, c’est un seuil limite en dessous duquel on ne peut pas descendre.
Je suis très fière d’avoir évité un plan social avec des licenciements secs. Les départs volontaires sont soumis à une commission, il s’agit d’une procédure assez lourde. Nous regardons ce qui est intéressant sur le plan et économique et artistique pour l’entreprise. Il y a des gens qui veulent partir, mais il est clair que je le leur refuserai car j’ai besoin d’eux du point de vue artistique. »
 
Après avoir été longtemps en activité à l’Opéra national de Lorraine au côté de Laurent Spielmann, V. Chevalier a découvert Montpellier. « J’ai pris en compte l’aspect socio-démographique de la ville. Montpellier est extrêmement jeune ; beaucoup d’étudiants, des familles avec des enfants plutôt en bas âge. On trouve évidemment un petit noyau dur de bourgeoisie, mais c’est très différent de Bordeaux ou de Toulouse, on a un autre public ici. J’ai tenu compte de cet aspect, mais aussi de ce que nos moyens financiers nous permettent de réaliser avec les forces dont nous disposons. Nous n’avons pas de grands ateliers de décors ou de couture comme dans d’autres villes. J’ai eu envie de proposer un projet différent et des œuvres différentes. »
 
Une différence qui se manifeste dès l’ouverture de saison, ce 9 octobre, avec la première de cinq représentations du méconnu Chérubin de Massenet. « Une œuvre rare et magnifique, un bijou ! Du point de vue dramaturgique Manon est un chef-d’œuvre, mais sur le plan musical Chérubin n’a rien à envier à Manon. On y trouve des pages sublimes, des duos d’amour qui vous transportent », remarque une directrice férue de répertoire français du XIXe siècle. Elle a souhaité confier l’ouvrage à une jeune équipe : Marie-Adeline Henry tiendra le rôle-titre dans une mise en scène signée Juliette Deschamps, qui conclut là sa résidence à l’Opéra de Montpellier. Une belle découverte lyrique s’annonce pour nombre de mélomanes ; découverte complète d’ailleurs car, précise V. Chevalier, « nous avons choisi de ne pas couper les ballets. »
 
Cinq productions, mais sept ouvrages : la saison 2015-2016 de l’Opéra de Montpellier présente en effet deux diptyques qui reflètent le désir d’originalité de la nouvelle direction. En décembre L’Enfant et les sortilèges sera couplé avec L’Hirondelle inattendue de Simon Laks. La présence de l’ouvrage de Ravel traduit la volonté de V. Chevalier de « relancer Opéra Junior en donnant plus de moyens aux productions de cette structure, dans le but de les reprendre avec des voix d’adultes ensuite. »  Valérie Chevalier avait confié L’Enfant en février dernier à Sandra Pocceschi. Avec ses jeunes interprètes, le spectacle présentait d’inévitables limites sur le plan vocal, mais son indéniable réussite scénique (1) attise l’impatience de le revoir avec un plateau « adulte » très prometteur comprenant entre autres Kathouna Gadelia, Dima Bawad, Elodie Méchain, Kevin Amiel ou Jodie Devos, qui interprète par ailleurs L’Hirondelle dans L’Hirondelle inattendue de Simon Laks (1901-1983).
Il s’agit là de l’unique opéra de ce musicien polonais qui, après avoir connu le succès avant la guerre, fut déporté à Auschwitz où il dirigea l’orchestre du camp, avant d’être transféré en octobre 1944 à Dachau.
Immédiatement après la libération de ce dernier par les Américains, le compositeur s’installa à Paris. En 1965, il mit en musique un conte entendu à la radio. V. Chevalier, qui tenait à éviter le trop commode couplage Enfant/Heure espagnole, a songé à cette délicieuse partition (l’histoire d’un reporter et d’un pilote atterrissant par accident au paradis des animaux le jour de l’intronisation de l’hirondelle). Gageons que l’inventive et poète S. Pocceschi en fera son miel, tandis David Niemann, assistant de Michael Schønwandt, sera à la baguette.
Notez enfin que la programmation de l’ouvrage de Laks inspire un week-end (13 et 14 nov.) sur le thème « Musiques dégénérées, musiques interdites » avec des œuvres symphoniques de Laks, mais aussi de Goldschmidt, Bloch et Rathaus interprétées par l’Orchestre national Montpellier Languedoc Roussillon sous la direction de l’excellent Daniel Kawka.

Michael Schønwandt © Hans van der Woerd

 
Le projet de V. Chevalier ne s’interdit pas pour autant de grands titres du répertoire. Puccini est à l’honneur en février avec la reprise de Turandot dans la mise en scène que Yannis Kokkos avait présentée en octobre 2013 à l’Opéra de Lorraine. Avec Katrin Kapplusch dans le rôle-titre, cette Turandot sera aussi la première production lyrique que Michael Schønwandt, nouveau chef principal, dirige depuis son arrivée dans la capitale languedocienne.
 
L'atmosphère changera radicalement en mars avec Geneviève de Brabant d’Offenbach. « J’avais découvert cette œuvre à une époque où j’effectuais un gros travail de recherche sur Offenbach à la Bibliothèque Nationale », se souvient V. Chevalier, impatiente d’entendre pétiller sur la scène de l’Opéra Berlioz une œuvre où « Offenbach joue avec les mots de façon fabuleuse ». Carlos Wagner sera à la régie : vision tonique et décapante à coup sûr !
 
Au diptyque Ravel/Laks de la période des fêtes répond en fin de saison celui, non moins original, formé par Il Tabarro de Puccini et Royal Palace de Kurt Weill. V. Chevalier ne cèle pas sa fierté de présenter en création française cette partition étonnante écrite en 1925 sur un livret de Yvan Goll. « Par la correspondance entre les rôles et les tessitures, elle complète idéalement Il Tabarro. » On a d’autant plus hâte de découvrir ce « condensé de l’art de Weill » que la talentueuse Marie-Ève Signeyrole, très remarquée pour son Owen Wingrave à Nancy (3) et « L’affaire Tailleferre » à Limoges (4), signe la production et, partant, commence une résidence à Montpellier.
Quant au reste du Trittico puccinien, il sera prétexte à deux autres diptyques, avec Gianni Schicchi en 2016-2017, puis Suor Angelica en 2017-2018. Les compléments ? Patience…

Valérie Chevalier, David Niemann & Michael Schønwandt © OONMLR
 
D’ici là, la saison 15-16 de l’Opéra Orchestre national de Montpellier réserve surprises et nouveautés au parallèlement aux activités lyriques. Du côté des artistes en résidence, le plasticien Tal Isaac Hadad prépare un film destiné à accompagner un concert Beethoven (en mars prochain) avec Laurence Equilbey et Accentus. Quant à l’excellent ensemble baroque Les Ombres, il mijote un projet avec Opéra Junior et le danseur Olivier Colin.
Chef assistant auprès de Michael Schønwandt, David Niemann fait aussi partie des artistes en résidence, preuve de la place que le chef principal et V. Chevalier entendent donner à cet artiste de 25 ans qui, souligne la directrice générale, « n’est pas du tout un "assistant" comme on l’entend souvent. Nous définissons les projets avec lui. Il assiste beaucoup le directeur musical, mais il a aussi un projet à lui ».
 
Quant à Michael Schønwandt, V. Chevalier s’avoue « ravie de son arrivée à Montpellier. C’est l’artiste que l’on sait, mais aussi quelqu’un d’assez fabuleux sur le plan humain. Il est prêt à travailler sur le renouvellement du public. » Et les initiatives ne vont pas manquer en la matière, avec de nouvelles formules de concert, tels les « Jeudis Express » (des programmes d’une heure destinés aux jeunes actifs, à partir du 6 janvier), des ciné-concerts ou encore ces Planètes de Holst que M. Schønwandt dirigera, accompagnées d’images réalisées par le Planétarium de Montpellier (6, 7 et 8 novembre).
 
 Alain Cochard
(Entretien avec Valérie Chevalier réalisé le 23 septembre 2015)

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(1) Lire le compte-rendu : www.concertclassic.com/article/lenfant-et-les-sortileges-lopera-de-montpellier-une-touchante-reussite-compte-rendu
(2) www.opera-orchestre-montpellier.fr/evenement/musiques-degenerees-musiques-interdites
 
(3 )Lire le compte-rendu : www.concertclassic.com/article/owen-wingrave-de-britten-nancy-onirisme-et-engagement-compte-rendu
 
(4)  Lire le compte-rendu : www.concertclassic.com/article/laffaire-tailleferre-lopera-theatre-de-limoges-germaine-la-barre-compte-rendu
 
Site de l’Opéra Orchestre national de Montpellier Langudoc-Roussillon : www.opera-orchestre-montpellier.fr

Photo Valérie Chevalier © Marc Ginot

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