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Rencontre avec... un compositeur contemporain - Philippe Boesmans - « Faire parler la musique »

Honoré par l'Académie des Beaux-Arts, qui vient de lui décerner, le 23 novembre à l'Institut de France, le Grand Prix de la Fondation Del Duca, Philippe Boesmans fait son entrée dans les pages du Petit Larousse, édition 2012, en tant que « compositeur belge, né en 1936 ». On peut d'ailleurs s'étonner qu'il n'y fût déjà, tant il a marqué l'histoire de l'opéra depuis près de vingt ans.

Le succès de chacun de ses ouvrages lyriques depuis Reigen (La Ronde) en 1993 jusqu'à Yvonne, Princesse de Bourgogne en 2009, pourrait faire oublier que Philippe Boesmans n'est pas qu'un compositeur d'opéra. La récente parution d'un disque monographique chez Cyprès vient heureusement rappeler que ce compositeur autodidacte, pianiste de formation, n'a pas forcément besoin d'un livret pour écrire – même si sa musique reste cependant toujours habitée par la dramaturgie. Seulement, c'est une dramaturgie des gestes et non plus des mots (son Concerto pour piano de 1978 et celui pour violon, composé l'année suivante, sont ainsi bâtis sur toute une série de gestes éloquents, stéréotypes empruntés au répertoire du concerto romantique). Aujourd'hui, la musique instrumentale trouve sa place, chez Philippe Boesmans, entre deux opéras. Ces pièces, qualifiées malicieusement d' « œuvres de fatigue », le compositeur dit les écrire « un peu pour [se] reposer ». On peut y voir aussi le moyen de quitter en douceur l'univers théâtral dans lequel le plonge, durant deux ou trois ans, chacun de ses ouvrages lyriques, où pourrait-on dire, il s'enferme avec ses personnages. Ainsi le Sextuor à clavier, créé en 2006, se ressent-il encore de l'atmosphère de Julie (2005). Mais déjà, l'appel de l'opéra se fait de nouveau sentir, et le même Sextuor laisse déjà entendre quelques-unes des idées qui peupleront l’œuvre suivante, Yvonne, Princesse de Bourgogne.

Le cycle de six pièces pour ensemble Chambres d'à côté, qui donne son titre au disque déjà évoqué, fait partie ces œuvres de « délassement », « moins fatigantes à faire », où le compositeur abandonne les « grands appareils » pour jouir de nouveau de l'intime : « Avec Chambres d'à côté, on est chez moi, pas à l'opéra, dans un grand lieu mondain et exposé. J'ai vraiment pensé à tout ce qu'on entend chez soi : ça peut être les voisins qui écoutent de la musique ou font une petite fête, les bruits de la rue... J'aime ces bruits qui nous viennent quand on ne s'y attend pas : un grand chef-d’œuvre peut être moins émouvant qu'une petite musique qui vient de loin ».

« Quand on écrit un opéra, on ne peut pas écrire une musique abstraite, affirme Philippe Boesmans. Il faut passer par les états d'âme des personnages. Dans La Ronde, il y a l'ivresse mais aussi la peur et la déception de l'amour. Je dois les exprimer musicalement, sinon cela ne parle pas au public ». Quand il aborde l'écriture d'une pièce instrumentale, Philippe Boesmans dit se sentir d'abord un peu perdu : « Je n'ai plus de paroles, je ne suis plus porté par les personnages ». Il lui faut créer une dramaturgie pour « faire parler la musique », la forme ne s'inventera que peu à peu, au fur et à mesure de la composition.

Commencer à écrire, de toute façon, est difficile (« finir, c'est difficile aussi, ajoute le compositeur ; conclure, c'est mourir : on ne peut plus rien faire après »). Après que le Théâtre de La Monnaie de Bruxelles lui a commandé Le Conte d'hiver, Philippe Boesmans se rend en Sicile pour travailler sur le livret avec Luc Bondy : « Au bout d'une semaine, on n'avait pas avancé. C'est lors du retour, en transit dans un aéroport, que Luc me dit : "on pourrait commencer avec un mendiant qui chante une chanson". J'avais un vrai début, je pouvais commencer ». S'il avoue écrire « assez librement », il tient cependant à se donner des contraintes : « Il faut de la rigueur pour encadrer sa liberté ». C'est un enseignement qu'il tire des musiciens de jazz, que ce compositeur du matin aime écouter le soir : « Ils veulent que ce qu'ils jouent parle ».

Jean-Guillaume Lebrun

- À écouter : Chambres d'à côté par l'ensemble Musiques Nouvelles, enregistré chez Cyprès (CYP4636) comme ses opéras Reigen, Julie et Yvonne, Princesse de Bourgogne
Wintermärchen (Le Conte d'hiver), dirigé par Antonio Pappano, est paru chez Deutsche Grammophon

- À voir : dans le cadre de sa saison de musique filmée, l'Auditorium du Louvre donne carte blanche à Philippe Boesmans du 3 au 5 février 2012. www.louvre.fr

Philippe Boesmans compose actuellement un opéra d'après Au monde, pièce de Joël Pommerat adaptée par l'auteur. Création en 2014 au Théâtre de la Monnaie de Bruxelles.

Photo : Isabelle Françaix
 

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