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Red Carpet, création de Hofesh Shechter pour le Ballet de l’Opéra de Paris– Le rouge est surmis – Compte rendu

 

 
On en sort épuisé, car les coups de matraque à répétition engendrés par l’accompagnement sonore nous résonnent profondément dans la cage thoracique, laquelle n’a pas la chance de nos oreilles, protégées par des bouchons que l’Opéra nous a distribués obligeamment. Le Sacre du printemps, la Chevauchée des Walkyries, douces berceuses en regard de la brutalité, si mode, du son agencé par Hofesh Shechter, chorégraphe star et musicien, pour ce Red Carpet, donné en création mondiale et qui se veut entre glamour et grotesque. L’excès étant néfaste, disons d’abord notre admiration pour la performance accomplie par le petit groupe de danseurs de l’Opéra, 13 choisis parmi la troupe, sans distinction de grade puisqu’il n’y a pas d’étoile et seulement un premier danseur, qui se prêtent au jeu avec un engagement, une  violence contrôlée, des cambrés, des piétinements et des ondoiements de bras proprement fascinants. Mais la fascination ne dure pas et l’ennui s’installe, malgré eux, et malgré le bruit …

 

© Julien Benhamou – OnP

Hymne à la vie mais aussi à la souffrance
 
Difficile de pénétrer dans l’univers torturé, et probablement mystique de cet Israélien cinquantenaire, formé un temps à la prestigieuse Batsheva Dance Company et aujourd’hui porté au pinacle depuis ses premiers succès. Y a-t-il un sujet dans ce Red Carpet, où le groupe gesticule autour ou sous un grand lustre, avec quelques rares instants de silence béni ? Non, juste une accumulation d’attitudes, par lesquelles il faut se laisser emporter, dit le chorégraphe. Ce que l’on voit pendant environ une heure et quart, est-ce La chambre des damnés, la Porte de l’Enfer, comme chez Rodin ou dans quelque triptyque médiéval. Sont-ils en transe dans le désert, comme lors de la fuite d’Egypte, tandis que le lustre flamboyant monte et descend, tel un Veau d’or ?
Danse incantatoire, hymne à la vie mais aussi à la souffrance, évidente difficulté de se toucher, le groupe officiant généralement en parallèle plus qu’en prises, ils s’offrent à toutes les sensations que peuvent leur envoyer leurs mollets, leurs ventres, tandis que les bras sont légers, aériens.

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Délire jérômeboschien
 
Le tout surmonté de quatre musiciens, qui officient dans l’ombre comme les grands prêtres de cette fête du bruit syncopé, vrombissant,  comme des dieux chtoniens. Leurs noms sont familiers aux amateurs du genre, de Brice Perda à Olivier Koundouno, ou au batteur Yaron Engler qui affirme que ces expérimentations aident les gens à se libérer, mais surprennent dans ce cadre et sur cette scène, bien que la contrebassiste Sulivan Loiseau travaille au sein de l’Académie de l’Opéra. En fait, c’est cette partition sonore qui est l’essentiel du spectacle, car elle mène le jeu de ces silhouettes en folie dont certaines sont brillamment parées, d’écarlate, de lamé, de sequins comme dans un cabaret, puis juste revêtus de maillots peau nue qui laissent mieux voir les mouvements, car les costumes sont signés Chanel, preuve que les plus grandes signatures acceptent ce délire jérômeboschien.
 
Et qui, on le répète, offre quelques instants d’harmonie et des tableaux prenants, car les interprètes ont joué le jeu à fond. Vraie catharsis que cette pièce, qui reste problématique, mais typique de l’art de Shechter de faire bouger les corps, comme peu savent le faire. Les deux lustres ont résisté, celui de la salle et celui de la scène, à cette descente abyssale. L’honneur est sauf !
 
Jacqueline Thuilleux
 

Hofesh Schechter : Red Carpet – Paris Palais Garnier, 10 juin ; prochaines représentations les 14, 20, 21, 22, 24, 27, 28, 30 juin ; 3, 5, 6, 7, 8, 11, 13 & 14 juillet 2025 // www.operadeparis.fr/saison-24-25/ballet/hofesh-shechter
 
Photo © Julien Benhamou - OnP 

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