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Recréation de Poésie pour pouvoir de Boulez par l’Ensemble Intercontemporain et l’Ircam – Rendre vivace le bel hier – Compte rendu
Recréation de Poésie pour pouvoir de Boulez par l’Ensemble Intercontemporain et l’Ircam – Rendre vivace le bel hier – Compte rendu

Poésie pour pouvoir. Le titre, emprunté à Henri Michaux, sonne comme un manifeste et indique, chez Pierre Boulez, un chemin pour l’expérimentation. L’œuvre, après sa création en octobre 1958 à Donaueschingen (trois auditions successives), disparut des programmes et du catalogue du compositeur, et connut dès lors le sort de ces partitions qui jalonnent l’imaginaire de la musique contemporaine sans qu’il soit possible de les entendre à nouveau. C’est donc une recréation attendue que proposent l’Ensemble Intercontemporain et l’Ircam. L’institut de la place Stravinsky avait été fondé par Boulez, dans les années 1970, précisément pour ouvrir les possibilités d’une musique articulant l’instrumental et l’électronique – soit le projet de Poésie pour pouvoir, qui se heurtait en 1958, malgré les moyens des studios du Südwestfunk de Baden-Baden, aux limitations de la technique de production et de diffusion sonores. C’est à l’Ircam que la partie électronique de l’œuvre a été reconstituée par le compositeur Marco Stroppa et le réalisateur en informatique musicale Carlo Laurenzi.

© Quentin Chevrier
Plaisir différé
Sur la scène de la Cité de la musique, quel impact a Poésie pour pouvoir après soixante-sept ans de silence ? Celui déjà d’une redécouverte, le plaisir longuement différé d’entendre une œuvre ambitieuse où Boulez joue avec l’orchestre, divisé en trois groupes selon une topographie minutieuse. L’écriture est incisive, pleine d’éclats et d’échos chambristes, surchargée aussi parfois. L’énergie énorme mise en œuvre se révèle dans l’interaction entre les trois « orchestres », composés des membres de l’Ensemble Intercontemporain et de l’Orchestre du Conservatoire, dirigés avec rigueur et fougue. Musique d’orchestre sans répit si ce n’est celui que laissent les parties électroniques qui, comme pour Déserts de Varèse, viennent d’abord s’intercaler entre les épisodes orchestraux. La fusion se fait peu à peu, jouant sur les analogies de formes et de timbres. Finalement, si l’œuvre fait son âge, c’est peut-être avant tout du fait de la déclamation du texte, enregistré à l’origine par Michel Bouquet dont la voix – belle prouesse de l’Ircam – est ici reconstituée artificiellement. Mais même là, les effets auxquels Boulez soumet la voix sont aussi des directions futures qu’il explorera dans le domaine purement musical.

Diego Tosi © Quentin Chevrier
Repères et réminiscences
Ce dernier concert consacré par l’Ensemble Intercontemporain aux célébrations du centenaire de son fondateur, réunissait également deux œuvres qui furent des points de repère essentiels pour Boulez comme penseur et interprète. D’abord un peu distendues, les Symphonies d’instruments à vent de Stravinsky s’ouvrent progressivement vers une vision très debussyste. Quant au Concerto « à la mémoire d’un ange » de Berg, il est traversé par la lecture limpide, magnifiquement articulée et retenue de Diego Tosi, l’orchestre – toujours l’EIC mêlé aux étudiants du Conservatoire – prenant en charge la part plus expressive, mais toujours sans excès.
Entre les deux, Pierre Bleuse dirige la belle fantaisie orchestrale de Betsy Jolas, Ces belles années... Bientôt centenaire, la compositrice dont le chemin a souvent croisé celui de Boulez, offre une réjouissante suite de réminiscences lyriques – l’œuvre est une commande du Festival d’Aix-en-Provence –, esquissées juste ce qu’il faut pour faire affleurer le souvenir et conclue par une aria jubilatoire, éclatante de simplicité et de sincérité, portée par la voix irradiante de la soprano Tamara Bounazou. Nous sommes alors bien loin de l’expérimentation de Poésie pour pouvoir, mais toujours en plein dans la fraîcheur du geste musical.
Prochain rendez-vous avec l'EIC, le 8 janvier à la Cité de la musique, pour un "Grand Soir Numérique".(1)
Jean-Guillaume Lebrun

Cité de la musique, le 12 décembre 2025
(1) www.ensembleintercontemporain.com/fr/concert/grand-soir-numerique-3-2026-01-08-20h00-paris/
Photo : Diego Tosi et Pierre Bleuse © Anne-Elise Grosbois
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