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La Nativité d’Henri Maréchal par la Compagnie de l’Oiseleur – Un grain de sable à Noël – Compte rendu

Ceux qui connaissent le travail de Jacques-François Loiseleur des Longchamps savent qu’il réserve sans cesse des surprises aux amateurs de répertoire français : œuvres oubliées de grands noms de la musique (Nausicaa de Reynaldo Hahn), titres rares de compositeurs jadis illustres (Lutèce d’Augusta Holmès) ou pièces inconnues dus à des créateurs non moins inconnus (La Conjuration des fleurs de Louis-Albert Bourgault-Ducoudray). C’est dans cette dernière catégorie que se range la dernière résurrection en date : l’oratorio La Nativité (1875) d’Henri Maréchal (1842-1924). Le programme nous apprend que ce monsieur, élève de Victor Massé, fut lauréat du Prix de Rome en 1870 et composa un certain nombre d’opéras et d’opéras-comiques, notamment en relation avec les romans d’Erckmann-Chatrian (on lui doit notamment la musique de scène d’adaptations théâtrale et cinématographique de L’Ami Fritz).

« L’Ange du Mal » en intermède
Pour L’Enfance du Christ, vingt ans auparavant, Berlioz avait le tyran Hérode comme contrepoint de la famille de Jésus ; pour sa Nativité, le poète Emile Cicile a réglé autrement le problème, en scindant en deux son livret avec un intermède intitulé « L’Ange du Mal ». Alors que tout le reste de l’œuvre baigne dans une atmosphère séraphique un peu lénifiante, le démon exprime ici l’animosité que lui inspire l’annonce de la naissance d’un rédempteur pour l’humanité. Pour autant, il disparaît aussitôt après et ce – petit – grain de sable ne saurait enrayer le bon déroulement de la naissance du Christ. Un affrontement entre l’archange Gabriel et cet ange du Mal n’aurait pourtant pas été déplaisant, d’autant que Maréchal ne cultivait pas non plus la veine sensuelle qu’on put reprocher à son exact contemporain Massenet (mais La Nativité ne si prêtait sans doute guère).

Bel engagement
Au piano, Romain Vaille défend avec brio la réduction d’une partition touffue mais dont on n’ose pas rêver qu’on l’entendra un jour interprétée par le grand orchestre pour laquelle elle fut conçue. On se réjouit que, dans la vaste salle de l’Espace Bernanos, le chœur Fiat Cantus, dirigé par Thomas Tacquet-Fabre, possède les effectifs suffisants pour donner une véritable idée de l’écriture de Maréchal.
Parmi les solistes, on remarque en particulier la fermeté du timbre rare de Gabrielle Savelli, Maréchal ayant confié Gabriel à une contralto, et la vaillance du ténor Francisco Manalich dans le rôle d’un berger. Ania Wozniak assume dignement le personnage naturellement le plus présent tout au long de l’œuvre, la Vierge (ici mezzo comme dans L’Enfance du Christ), et l’on regrette seulement quelques stridences dans les notes les plus aiguës. Didier Henry prête toute sa dignité à Joseph, et Jacques-François Loiseleur des Longchamps s’est réservé l’Ange du Mal, qu’il sert avec une déclamation expressionniste du plus bel effet.
L’accueil chaleureux du public entraîne la reprise du vigoureux chœur final, qui reprend la mélodie du cantique Adeste fideles. Espérons que l’année 2026 permettra à ces courageux interprètes de mener à bien les alléchants projets annoncés, dont quelques opéras adaptant de grandes œuvres littéraires du XIXe siècle, Le Capitaine Fracasse d’Emile Pessard ou Les Trois Mousquetaires d’Isidore de Lara ...
Laurent Bury

Paris, Espace Bernanos, 17 décembre 2025
Photo © Compagnie de l’Oiseleur
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