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The Rake’s Progress à l’Opéra de Rennes – Télévisuelle débauche – Compte-rendu
Le décor, composé de six alvéoles en forme de petits écrans, évoque l’objet emblématique de ce nouveau monde : la télévision, à la fois désirée comme symbole d’un certain niveau de vie, et créatrice de désirs supplémentaires car exposant le spectateur à la publicité et renforçant le consumérisme. De fait, Tom Rakewell est happé par l’appât du gain, vers Londres où tout s’achète, les êtres autant que les biens, et Mathieu Bauer souligne que cette vérité-là survit au héros, et même aux morales que les personnages viennent édicter dans l’épilogue, puisqu’en parallèle, il nous montre Sellem, le commissaire-priseur, plaçant ses étiquettes de prix un peu partout sur le plateau, où tout reste donc à vendre. Seul écart réel par rapport au livret, Anne Trulove décide finalement de « libérer » Tom de la folie en l’asphyxiant sous un oreiller (mais il ressuscite ensuite pour ses dernières répliques).
Après un démarrage où les instruments semblent avoir tendance à couvrir les voix, Grant Llewellyn trouve un équilibre plus satisfaisant entre fosse et plateau, auquel peut aussi contribuer le mouvement du décor qui s’avance parfois plus près de l’avant-scène et aide ainsi à la projection des voix. Belle idée, pour la scène du cimetière, que de faire apporter le clavecin comme un cercueil, et de confier à la claveciniste le soin de sonner la cloche qui retentit à intervalles réguliers : ce moment, où se dénoue l’alliance entre Tom et le diable, n’y perd absolument rien de sa force. Le chœur de chambre Mélisme(s) – préparé par Gildas Pungier – anime d’une énergie convaincante les différentes scènes de foule, en particulier l’accueil triomphal réservé à Baba la Turque.
Dans la distribution, les prises de rôle sont nombreuses. Par pour Julien Behr (photo), qui était déjà Tom Rakewell à Nice en 2019, et qui trouve ici l’occasion d’approfondir encore son appropriation du héros, présent dès avant l’ouverture, pour un prologue révélant sa folie, mais qui pourrait être écourté. Le ténor n’en est pas moins bouleversant dans les dernières scènes, surtout celle de l’asile où il ne craint pas de blanchir sa voix pour traduire la démence du personnage. Remarquée dans La Dame blanche à l’Opéra-Comique, Elsa Benoît est une superbe Anne Trulove, moins timide qu’on ne la voit parfois, dardant des aigus radieux dans son grand air parfaitement maîtrisé. Dr Falke dans une Chauve-souris présentée à huis-clos à Rennes la saison dernière, mais dont on nous assure heureusement qu’elle sera prochainement donnée en public, Thomas Tatzl campe un Nick Shadow redoutablement sympathique, sans noirceur excessive dans la voix, sans rien de forcé dans le grave, mais avec toute l’étoffe nécessaire pour être un diable tentateur. C’est le même naturel vocal qu’on admire chez Aurore Ugolin, Baba la Turque plus star que jamais, drôle sans jamais être caricaturale. Mother Goose sonore, à la présence affirmée, Alissa Anderson fait forte impression, et l’on regrette que la mère maquerelle ait si peu à chanter. Scott Wilde a le physique de Trulove, mais aussi la puissance vocale exigée par ses quelques interventions. En Sellem aux allures de vampire, Christopher Lemmings réussit une composition mi-amusante, mi-inquiétante.
Laurent Bury
Stravinsky : The Rake’s Progress – Rennes, Opéra, 5 mars ; prochaines représentations les 7 et 9 mars 2002 // opera-rennes.fr/fr
Puis à Nantes (Théâtre Graslin) les 22, 24, 26, 28 et 30 mars 2022 // billetterie.angers-nantes-opera.com/spectacle?id_spectacle=19&lng=1
Photo © Laurent Guizard / Opéra de Rennes
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