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Portrait baroque - Giovanni Gabrieli (1557-1612) - Un génial passeur

Avec le 400ème anniversaire de sa disparition, Giovanni Gabrieli fait l'événement dans quatre festivals majeurs de la fin de l’été et de la rentrée : Sinfonia en Périgord, Les Rencontres de Vézelay, le Festival de la Chaise-Dieu et le Festival Baroque de Pontoise. A chaque fois, les interprètes sont difficiles à surpasser s'agissant de l'Ensemble La Fenice et du Choeur Arsys Bourgogne, sous la direction de Jean Tubéry.

Entre Renaissance et Seicento

Objet de l'admiration inconditionnelle d'Heinrich Schütz (1585-1672) qui fut son élève préféré à Saint-Marc de Venise (« Ah! Johan Gabriel, quel homme était-ce là ! »), Giovanni Gabrieli, mort il y a exactement quatre siècles, s'impose, en effet, entre Renaissance et Seicento, comme l'un des acteurs majeurs de la musique de son temps. En particulier, de l'aventure polychorale, ce facteur de modernité qui transforma du tout au tout le visage du répertoire liturgique à l'aube de l'ère baroque.
Neveu d'Andrea Gabrieli (v. 1510 – v. 1586) qui fut peut-être l'élève du Flamand Willaert (le père de la spatialité à Saint-Marc) et, comme son oncle, organiste à la basilique, Giovanni doit à ses années munichoises à la cour du duc de Bavière où il fut l'ami de Roland de Lassus (1576-1580), sa réputation de professeur très demandé par les jeunes musiciens germaniques venus étudier dans la République. Tel précisément le Sagittarius, à qui l'illustre maître, sur son lit de mort, fit don d'un anneau d'un grand prix, «en témoignage de sa vive affection».

Venetia Miraculum Mundi

A cette époque, la Sérénissime est sans doute le premier foyer musical d'Occident. Une suprématie confirmée par les nombreux récits de voyageurs impressionnés par la qualité des oeuvres à plusieurs choeurs qui s' y créent. Ainsi de la Scuola San Rocco voisine de l'église dei Frari (où sera enterré Monteverdi) et digne des fastes de la chapelle marcienne - cf. le jugement de l'Anglais Coryate s'extasiant en 1608 sur la beauté des musiques qu'on y entend: «musiques si bonnes, si rares, si délectables, si admirables que tout l'auditoire se croit transporté au paradis!» (Coryat's crudities, Londres, 1611).

Aussi bien, défenseur zélé d'Andrea, allant jusqu'à faire imprimer les oeuvres de ce dernier avant les siennes, Giovanni fut un pionnier des musiques nouvelles; le premier dans ses pièces instrumentales, appelées canzoni et sonates, à donner aux exécutants des indications dynamiques précises (la Sonata pian' e forte des Sacrae Symphoniae de 1597).
Dans cette impressionnante production, les recueils des Sacrae Symphoniae de 1597 et 1615 (celui-ci posthume) dominent, où les instruments se mêlent aux voix, riches du bonheur de timbres d'un concert partagé entre l'opulence de la Renaissance finissante et l'avènement du style concertant (les instruments n'y imitent plus simplement les voix, mais sont traités selon leur caractère et leur couleur spécifique).

La théâtralité de la pensée baroque

Au-delà, le sens harmonique y témoigne d'un nouvel état d'esprit, preuve d'une synthèse parfaitement réussie entre tradition polyphonique et modernité à la Monteverdi. Utilisant comme point de départ une texture polychorale, Giovanni finit par confier des choeurs entiers aux instruments ou à opposer des concerts instrumentaux, enluminés de la riche palette des cornetti, saqueboutes et bois, à des voix solistes ou à des tutti, tandis que la dimension réaliste des sons (reproduction de voix et de bruits divers, appels de trompettes inspirés peut-être par les Batailles chères au XVIème siècle) en fait l'un des précurseurs de l'orchestration. Avec, en prime, un sens rythmique hérité sans doute de la canzone alla francese (profil dactylique longue-brève-brève), mais s'en écartant progressivement pour des choix de plus en plus concertants. Doubles, triples, quadruples choeurs : un génial passeur s'exprime là, qui a su introduire dans un contrepoint savant et rigoureux la théâtralité de la pensée baroque, autre caractéristique du stile nuovo et de la liberté expressive des générations à venir.

Roger Tellart
Venetia Miraculum Mundi
Arsys Bourgogne et La Fenice, dir. Jean Tubéry

Festival Sinfonia en Périgord, 28 août 2012
www.sinfonia-en-perigord.com

Rencontres de Vézelay, 23 août 2012
http://www.rencontresmusicalesdevezelay.com

Festival de la Chaise-Dieu, 27 août 2012
www.chaise-dieu.com

Festival Baroque de Pontoise, 14 Septembre 2012
www.festivalbaroque-pontoise.fr

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Photo : DR
 

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