Journal
Partenope de Haendel par le Jardin des Voix et les Arts Florissants au Festival d’Auvers-sur-Oise 2023 – Au théâtre ce soir – Compte-rendu
Quoi de mieux qu’un tourbillon de sentiments de haute voltige musicale pour clôturer la 42e édition du Festival d’Auvers-sur-Oise ? Partenope de Haendel était au programme d’une soirée qui refermait en beauté un long mois de festivités riche de près d’une vingtaine de concerts.
Pour cette reprise du spectacle étrenné en 2021, William Christie a réuni une distribution identique à celle de la création. Les six jeunes chanteurs qui prennent part à cet enchevêtrement de passions, dont seul l’amour a le secret, sont les lauréats de la 10e édition de l’Académie du Jardin des Voix (la promotion 2021). Cet opéra donné en version de concert n’est autre que le spectacle qui clôt leur résidence vendéenne de Thiré, fief de William Christie. La production a déjà été présentée sur de nombreuses scènes (Angers Nantes Opéra ou la Cité de la musique par exemple) avant de s’envoler pour l’étranger. Le public rassemblé dans l'église Notre-Dame-de-l'Assomption d’Auvers-sur-Oise a donc pu bénéficier d’un spectacle qui a eu tout le temps de se peaufiner.
Partenope inspira bon nombre de compositeurs : Caldara, Vinci et Porpora. Cette sirène qui a tenté de séduire Ulysse est devenue à travers le temps et les croyances la reine de Naples. Partenope jouit de nombreux prétendants dont Emiliano, le prince de Cumes contre qui elle est en guerre, le prince Armindo ainsi que le prince Arsace qui, lui, est déjà promis à Rosmira. Il n’en faut pas plus à Rosmira, terrassée par la jalousie, pour se travestir en Eurimène afin de régler ses comptes avec son amant. Trois actes et quelques batailles plus tard, tout est bien qui finit bien : l’ordre amoureux est rétabli !
En 1729, Haendel s’empara du mythe de Partenope. Il partit en Italie recruter des chanteurs pour former sa nouvelle troupe à la Royal Academy of Music – une distribution exemplaire (hormis Farinelli qui refusa sa proposition) – et donna quelques semaines plus tard, le 12 février 1730, la première de son nouveau dramma per musica en trois actes.
Influencé par son voyage dans la péninsule, Haendel modernisa son écriture. A cette période en effet un changement musical intervint ; l’orchestre s’épura laissant plus de place aux voix et à l’émotion des interprètes.
© Festival d'Auvers-sur-Oise
C’est justement cet esprit de troupe, comme Haendel l’a imaginé, que l’on ressent en regardant les jeunes chanteurs de l’Académie du Jardin des Voix. Même quand ils ne sont pas sur scène, et qu’ils patientent dans le transept, chacun suit ses camarades d’un regard bienveillant et approbateur. On croirait voir une troupe de théâtre tant le jeu scénique y est présent. Il faut ici saluer le travail de Sophie Daneman pour sa mise en espace, d’une efficacité ingénieuse. Le théâtre se trouve bien sûr déjà dans la musique de Haendel ; mais les chanteurs réussissent à apporter une urgence dramatique qui nous transporte directement sur une scène d’opéra.
Le malheureux guerrier Emilio, campé par le ténor Jacob Lawrence, est sans doute celui qui a le plus compris le pouvoir et la force théâtrale de la musique. On croirait presque à la véracité de ses sentiments lorsqu’il clame « Que l’espoir te console… Quand l’amour nous dédaigne » dans son air « La speme ti consoli ». L’émotion se fait vive également lorsque la mezzo-soprano Helen Charlston, qui interprète Rosmira se travestissant en Eurimene, laisse couler une larme sur sa joue quand elle pleure son amour pour Arsace. Son medium velouté ajouté à un aigu tranchant lui promet assurément de grands rôles – et pas seulement dans le répertoire baroque.
En Arsace, le contre-ténor Hugh Cutting maîtrise véritablement son instrument et réussit avec brio l'air « Ma quai note di mesti lamenti » (On se souvient bien sûr de l’excellent Philippe Jaroussky dans la version dirigée par Riccardo Minasi – Erato). L’église d’Auvers plonge alors dans une évanescente lumière bleutée. Un air qui touche alors au sublime, rapidement balayé par ce même Arsace forcé de se dévêtir lors de la scène de combat face à Rosmira provoquant ainsi un léger trouble comique au sein du public, qui rappelons-le, a pris place dans une église ! Âmes sensibles s’abstenir.
© Festival d'Auvers-sur-Oise
La soprano Ana Vieira Leite fait sienne une Partenope furieuse et amoureuse qui nous amuse de ses ornements affolants sur l’air papillonnant du « Qual farfalletta », soutenue par les pizzicati de cordes. On aimerait entendre un timbre plus charnu mais le temps fera son effet… A ses côtés, le chef de son armée, Ormonte, revient au baryton Matthieu Walendzi qui, malgré son petit rôle, prend part avec brio à tout cet imbroglio.
Enfin, le contre-ténor Alberto Miguélez Rouco exprime la petite fragilité nécessaire au personnage d’Armindo, cet amoureux éconduit auquel le dénouement final offrira un bonheur entier. Et lorsqu’il laisse exprimer sa joie, et qu’il brandit la dame prise sur l’échiquier surplombant la scène pour la donner à William Christie, son bonheur devient communicatif.
C’est d’ailleurs à plusieurs reprises que l’on a aperçu le regard rieur du maestro en direction de sa jeune distribution. A la tête des Arts Flo, William Christie, sur qui l’on peut compter pour son expertise indéniable dans ce répertoire, réussit à faire jaillir une large palette de couleurs au sein des différents pupitres ; les instrumentistes semblent eux aussi se régaler des jeux d’amours qui se déroulent devant eux. Les numéros s’enchaînent mais les reprises sont toujours savamment variées. Mention spéciale aux cors et à la trompette annonciatrice lors de la symphonie de bataille. Christie veille à respecter les pianissimi pour laisser la place aux chanteurs tout en permettant à l’orchestre de s’envoler dans les élans passionnés dont Haendel a le secret.
C’est avec une ovation bien méritée de l’assistance que la soirée s’est refermée, le public ayant ainsi fait sienne la proclamation finale du chœur : « Le bonheur est enfin revenu et tout malheur à disparu… ».
Marion Guillemet
Partenope de Haendel – Auvers-sur-Oise, église Notre-Dame-de-l'Assomption, 7 juillet 2023 ; reprise le 15 juillet 2023 au Festival de Lanaudière (Canada) // lanaudiere.org/fr/programmation/le-retour-de-william-christie-et-les-arts-florissants/
À écouter sur France Musique: www.radiofrance.fr/francemusique/podcasts/le-concert-du-soir/partenope-de-haendel-a-nantes-par-les-arts-florissants-et-le-jardin-des-voix-8905988
Le Festival d’Auvers-sur-Oise continue sa saison musicale à la rentrée le 10 septembre 2023 avec le pianiste Gabriel Durliat (10 septembre), Théotime Langlois de Swarte et Thomas Dunford (28 septembre) et le Quatuor Ellipsos (le 8 octobre) // festival-auvers.com/a-voir/
Photo © Festival d'Auvers-sur-Oise
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