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Paris - Compte-rendu : Muti / Messina, un double enchantement

Une longue complicité unit Riccardo Muti à l’Orchestre National de France et, au fil des ans, le maestro italien a eu tout loisir de mesurer les qualités individuelles de ses membres. Rien d’un hasard s’il a fait appel au magnifique clarinettiste Patrick Messina (1ère clarinette solo de la phalange depuis 2003) pour interpréter le Concerto en la majeur K. 622 de Mozart. Bien lui a en pris !

L’ultime réalisation concertante de Mozart, certes. On sait toutefois gré à Patrick Messina de nous épargner l’approche façon « c’est-le-chant-du-cygne-du-divin-Mozart-qui va-bientôt-mourir-que-je-vous-fais-entendre-chers-auditeurs ». Plutôt que la gravité, c’est la vraie nature du Concerto en la que Messina exalte ; sa fascinante et ineffable ambiguïté de sentiment. Je n’insiste pas sur les moyens techniques supérieurs que le soliste déploie, sur un contrôle parfait du son. Seuls importent le lyrisme et le raffinement de son interprétation. Il faut avouer que quand un Muti vous cisèle un tel écrin, quand un orchestre se montre aussi complice – ces clins d’œil entre le clarinettiste et Sarah Nemtanu, le premier violon -, cela aide !

Le Mozart de Messina respire avec beaucoup de naturel et l’équilibre global de l’ouvrage est préservé par un Allegro final que les interprètes s’attachent à ne pas précipiter, après un Adagio ému mais fuyant les gros sentiments. L’épure, les subtiles demi-teintes de cette conception semblent appartenir à un autre monde… On en gardera longtemps le souvenir, tout comme sûrement Patrick Messina celui d’un déluge d’applaudissements mérités que Muti, caché parmi les violons de l’orchestre debout, le laissait savourer à plein au moment des saluts.

A un enchantement allait succéder un autre, de nature toute différente il est vrai, avec la Messe solennelle de notre bouillant Hector national - partition que l’on croyait perdue jusqu’à sa redécouverte à Anvers en 1991. Une œuvre de jeunesse (1824), imparfaite certes mais passionnante car foisonnante d’idées… que Berlioz réutilisera par la suite (l’exemple le plus frappant étant la Scène aux champs de la Fantastique qui apparaît dans le Gratias, six ans donc avant la symphonie).

Musique sacrée ? Le cadre de la messe est d’abord ici prétexte pour un compositeur en devenir, pour un extraordinaire tempérament théâtral à une fresque que Muti explore et emporte avec un relief irrésistible. Dès le Kyrie, la musique de Berlioz est chauffée à blanc et l’on ne « décroche » pas un instant de cette vision fervente, véhémente si nécessaire (fabuleux Resurrexit !). Mais comme dans la musique de Cherubini, à laquelle Berlioz doit beaucoup, Muti sait ne pas confondre véhémence et emphase, aidé en cela par l’engagement du Chœur de Radio France. Belles prestations de la soprano Genia Kühmeier et de la basse efficace d’Ilda Abdrazakov. Je suis en revanché resté sur ma faim lors de l’intervention assez extérieure du ténor Pavol Breslik (l’Evangéliste de la Passion selon Saint-Jean récemment donnée au Châtelet) dans l’Agnus Dei. C’est bien le seul bémol à une interprétation splendide - et triomphalement accueillie !

Après le concert de Muti au Festival de Saint-Denis l’an dernier, nous nous étions pris à rêver d’une union entre le National et l’un de ses maestros favoris – si ce n’est le préféré.
Bon…

Alain Cochard

Théâtre des Champs-Elysées, Samedi 14 avril 2007

Programme détaillé du Théâtre des Champs-Elysées

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Notez que Patrick Messina se produit le 27 avril (20h30) à la Salle Cortot lors d'une soirée de musique de chambre. Il y interprète des oeuvres de Stravinski, Prokofiev et Khatchatourian en compagnie de Vadim Tchijik (violon), Sayaka Funakoshi et Pascal Mantin (piano). Rés : 08 72 32 62 02

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