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​Naissance du Rungis Piano-Piano Festival – Défense et illustration du deux pianos

Paru il y a quelques mois, le magnifique programme  « B like Britain » enregistré par Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle (photo) constitue la dernière illustration discographique en date de la curiosité et de l’art avec lesquels les deux artistes explorent et défendent la musique pour deux pianos.(1) «Un répertoire méconnu, mal considéré souvent, déplorent-ils. »
Les explications de cette situation sont nombreuses et, parmi elles, le fait que le grand public tend à associer la notion de chef-d’œuvre du piano à la période romantique. Elle en vit naître beaucoup en effet, mais fut aussi celle du triomphe du virtuose, héros solitaire – Liszt le premier – qui mettait les auditoires à ses pieds. La gloire ne se partageait pas ; ce qui ne resta pas sans effet sur la création. Le romantisme a certes vu naître d’intéressantes œuvres pour deux pianos, mais rien qui puisse se comparer, côté piano solo, à la Sonate en si, aux Kreisleriana ou à la Sonate « Funèbre ». Plus tard dans le XIXe siècle et au XXe siècle, la littérature pour duo de piano a connu un bel essor marqué par de géniales partitions : L. Berlinskaya et A. Ancelle se battent pour elles depuis des années. 
 
La difficulté du deux pianos est généralement sous estimée. L. Berlinskaya parle de « musique de chambre », comparant le travail en duo à celui d’un quatuor à cordes. Quatre archets stars réunis le temps d’un concert ne suffisent pas pour bâtir une vraie interprétation ; il en va de même pour le deux pianos. « La liberté de jeu fait le sel de l’interprétation, note A. Ancelle ; il est extrêmement difficile d’y parvenir à deux pianos à moins d’un travail en commun très poussé. » Quand la complicité musicale va de pair avec celle d’un couple dans la vie de tous les jours, comme c’est le cas pour nos deux artistes, quand la musique se fait respiration commune, la magie opère.

Un festival de musique pour deux pianos à Rungis ? La ville où le Duo Berlinskaya-Ancelle a élu domicile est connue de tous pour son Marché international, mais on sait moins que la cité du Val-de-Marne se distingue aussi par le dynamisme de sa vie culturelle. « C’est la municipalité, souligne A. Ancelle, qui nous a poussé à inventer un festival inscrit dans le prolongement d’une politique culturelle très active. Le Conservatoire de Rungis est parmi ceux de France qui présentent le plus fort taux d’inscription par rapport à la population. La ville a constitué un fonds instrumental afin que les élèves puissent, à leurs débuts, disposer d’un instrument gratuitement pendant deux ans. »  Sur un terrain aussi favorable, L. Berlinskaya et A. Ancelle se sont lancés avec enthousiasme dans ce projet autour du deux pianos – une première en France –, conscients du « potentiel formidable » qu’il offre.
 

Lucie Leguay © Luc Camberlein

Comme partout la crise sanitaire a perturbé les choses, mais « la volonté des élus de maintenir l’événement coûte que coûte » permet au Rungis Piano-Piano Festival de naître comme prévu en 2020. Si la première édition est allégée par rapport aux prévisions initiales, elle traduit déjà clairement l’esprit dans lequel les deux co-directeurs artistiques conçoivent leur festival. Il se résume en une formule : le piano en partage. Le premier « Piano-Piano » s’adresse évidemment aux amateurs de musique dite classique avec un très beau programme Mozart-Poulenc de l’Orchestre national d’Île-de-France, dirigé par Lucie Leguay, dont le Duo Berlinskaya-Ancelle sera le soliste (1/10). Il fait place aussi au jazz et l’on sera en ce domaine curieux du dialogue de Thomas Enhco et Baptiste Trotignon (3/10). La couleur jazz sera par ailleurs de mise lors d’un programme Gershwin - Tsfasman (1901-1971, surnommé « le Gershwin russe ») rassemblant L. Berlinskaya, A. Ancelle,  Stéphane Kerecki (basse) et Fabrice Moreau (batterie) (2/10). Quant à la journée du 3 (des rendez-vous gratuits à la Médiathèque et au Bar du Théâtre), sorte de « off » du festival, elle témoigne de la volonté de partir à la rencontre des publics les plus divers dans un esprit participatif. Un temps envisagé pour 2021, le projet de concours de duos de piano reste d’actualité mais, compte tenu des turbulences de l’année en cours, sa première édition attendra 2022.
  
Comme pour tant d’autres musiciens, les annulations ont hélas été le lot du Duo Berlinskaya-Ancelle ces mois derniers ... Nos musiciens piaffent d’impatience de retrouver la scène et le public ! (3) Après Rungis, on les entendra le 20 novembre au Musée Guimet pour la reprise de « Sophie et Nicolas », merveilleux spectacle pour petits et grands créé (sous le titre « Mystères de l’enfance ») aux Bernardins en novembre 2019 et dont on avait dit ici la réussite (2), en décembre à Saint-Pétersbourg puis en Bretagne (le 26 dans la jolie église de L’Île Tudy, à l’initiative de Musical’Île). Après un passage à la Philharmonie de l’Elbe à Hambourg (12/01), nos deux musiciens feront leurs débuts à l’Auditorium de Radio France, le 17 janvier, dans un programme Saint-Saëns, Liszt, Chaminade (identique à celui de Saint-Pétersbourg) comprenant en particulier l’étonnante transcription pour deux pianos de la Sonate de Liszt par Saint-Saëns dont le duo a on s'en souvient signé un admirable enregistrement en première mondiale (Melodyia).
 
Alain Cochard

(1)Œuvres de Bax, Britten, Bowen, Rodney Bennet / 1 CD Melodyia MEL CD 10 02565
 
(2) www.concertclassic.com/article/le-duo-ancelleberlinskaya-au-college-des-bernardins-merveilleuse-journee-denfance-compte
 
(3) Agenda du Duo Berlinskaya-Ancelle : www.duoberlinskaiaancelle.com/#/en/agenda/
 
 
1er Rungis Piano-Piano Festival
1er , 2 & 3 octobre 2020
rungispianopiano-festival.com/
 
Photo © Laurent Bugnet
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