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Musique et Jeune Public (8) : L’Ecole Harmonique à la Chapelle Corneille de Rouen – Un projet pédagogique prometteur – Compte-rendu

Mardi 29 mai : ambiance inhabituelle à la Chapelle Corneille de Rouen, magnifique édifice qui accueille la saison baroque de l’ensemble Le Poème Harmonique, installé depuis quinze ans en région Normandie. C’est en effet au tour de L’Ecole Harmonique, créée il y a quatre ans à l’initiative de Vincent Dumestre, de se produire devant un public pour le moins composite – voiles, boubous, familles au complet, portables et tablettes prêtes à l’emploi – venu applaudir les enfants de l’école Debussy, située zone urbaine sensible.
 
Après des années d’actions culturelles réussies mais un peu frustrantes, du fait de leur courte durée, Vincent Dumestre a eu envie d’aller plus loin et en s’inspirant du Sistema vénézuélien ; il a donc choisi une école pilote dans le quartier des musiciens du Haut-Rouen et créé cette Ecole Harmonique dans un établissement classé REP+, soutenu par l’engagement sans faille du directeur et de l’équipe enseignante. « Nous avons voulu aller plus loin : jusque là, nous donnions une appétence, pas une compétence, dont pourtant les enfants ont besoin», explique Vincent Dumestre, qui suit de près le projet, malgré le calendrier chargé de son Ensemble -  Phaéton de Lully se donne en parallèle à l’Opéra Royal de Versailles. « A l’occasion de ce concert, nous présentons des choses exceptionnelles, d’une grande exigence, au même endroit et avec la même attention lorsqu’il s’agit des enfants. Et nous emmenons un public neuf au concert, qui lui aussi en découvre les codes ».

© B. Girard

Ce sont les plus jeunes, les CP, dont c’est la première année de formation musicale, qui ouvrent la soirée par un programme choral, Le vent et les chansons du compositeur rouennais Philippe Tailleux, Froide de blanche, une comptine traditionnelle et une marazula de Giorgio Mainero qui renvoie au répertoire baroque que pratique le Poème Harmonique. Ne bénéficiant plus, pour des raisons budgétaires, que d’une séance de sensibilisation au lieu de trois, les plus jeunes découvrent la pratique orchestrale grâce à des instruments à cordes en carton qu’ils fabriquent, sous la haute surveillance d’un atelier de lutherie rouennais, « Il pleut des cordes ». Grâce à ce dispositif, ils ont appris, tout au long de l’année comment tenir leur instrument, les positions et les différents modes de jeu, ainsi que les règles propres à une pratique collective. Ils sont ensuite rejoints sur scène par les instrumentistes tout frais du CE1 qui interprètent aux violons, altos et violoncelles (dont les enfants jouent depuis un an seulement) l’un des tubes du Poème Harmonique, la chanson Aux Marches du Palais. Après un chant grégorien et une samba brésilienne traditionnelle vient un moment d’improvisation, un moyen d’aider les enfants à se détacher de la partition et de travailler l’écoute.
Troisième groupe à monter sur scène, celui des « volontaires » rassemble les enfants qui, après deux ans d’initiation obligatoire, ont décidé de poursuivre l’Ecole Harmonique. Petit moment de grâce, leur présentation des instruments et des pièces qu’ils vont jouer : pour eux, le programme est un peu plus sophistiqué avec une musique traditionnelle klezmer, une transcription de l’ « Hymne à la Joie » et un air traditionnel, La dentellière. S’y ajoute une démonstration de « sound painting », technique (mise au point par l’Américain Walter Thomson à partir de 1974) basée sur une série de gestes qui déclenchent des moments musicaux.

Vincent Dumestre

 Vincent Dumestre © Per Buhre
On mesure tout de suite le chemin parcouru : l’apprentissage des instruments à cordes est ingrat, on le sait, mais ce qui compte vraiment – plus qu’un son encore à travailler, bien sûr – c’est le sérieux, la concentration et le plaisir de ces instrumentistes en herbe. Et la fierté. « Le projet est également social et éducatif », souligne Vincent Dumestre. Il existe des rapports hiérarchiques dans un orchestre, un rapport à l’autorité et au partage, une pyramide qu’il est important que les enfants apprennent dès le CP. »
Tous les enseignants, qui se produisent d’ailleurs sur scène avec les enfants et ont découvert avec eux la pratique instrumentale, le confirment : le projet, parfaitement en cohérence avec les programmes scolaires, est un soutien incroyable pour les apprentissages. Souhaitons qu’il puisse se poursuivre : ce ne sera possible que grâce  à une prochaine labellisation Demos, soutenue par le Ministère de la Culture, que toute l’équipe, musiciens et enseignants confondus, appelle de ses vœux.

Dominique Boutel

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Rouen, Chapelle Corneille, 29 mai 2018
 
Photo © Theodora Mbaye

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