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Mariam Batsashvili et Benedek Horváth en récital à l’Académie Franz Liszt de Budapest – Les choix avisés de « L’Europe du Piano » – Compte-rendu

Inscrit dans le cadre du programme Europe Créative (programme cadre de l’Union Européenne pour la Culture), le projet « L’Europe du Piano » est né à l’initiative du Festival Piano aux Jacobins de Toulouse (cf. l’interview de Paul-Arnaud Péjouan et Catherine d’Argoubet (1)), en partenariat avec l’Associazione Clementi de Rome et l’Académie Franz Liszt de Budapest, afin de promouvoir de jeunes pianistes européens (on reviendra plus longuement sur le sujet dans un futur proche, et en particulier sur l’implication de la prestigieuse institution musicale hongroise dans l’entreprise).
Cinq artistes ont été retenus pour 2016-2017 : Mariam Batsashvili (Géorgie), Nathanaël Gouin (France), Benedek Horváth (Hongrie), Alexia Mouza (Grèce) et Florian Noack (Belgique), et l’on a profité du passage de M. Batsashvili et B. Horváth (photo) à l’Académie Franz Liszt pour partir à leur découverte.
Elle n’était d’ailleurs pas totale s’agissant du second – dont un très bel enregistrement Liszt/Bartók (Artalinna) est sorti l’an dernier – à la différence de la Géorgienne que nous entendions pour la première fois lors de ce double récital. Premier Prix du Concours Liszt d’Utrecht en 2014 et parmi les artistes sélectionnés par la European Concert Hall Organisation (ECHO) pour la saison en cours, Mariam Batsashvili (23 ans) a étudié à Tbilissi, avant de poursuivre sa formation auprès de Grigory Gruzman à la Hochschule für Musik Franz Liszt de Weimar.

Mariam Batsashvili © Zeneakadémián

Le Concerto en ré mineur de Marcello transcrit par Bach (BWV 974) ouvre son programme. Plénitude des couleurs, clarté, énergie rythmique toujours dominée, lyrisme sans surcharge (un Adagio d’une grande pureté de ligne) : M. Batsashvili place immédiatement son auditoire sous le charme, avant de faire un saut dans la fin du XIXe et le début du XXe siècle français avec une demi-douzaine de pièces de Mel Bonis (1858-1937) servies par un sens prononcé de la caractérisation : Près du ruisseau, op. 9 et Il pleut, op. 102, merveilleux de fluidité, Le moustique, op. 66, plein d’humour – et de piquant ! –, la Romance sans paroles, op. 56, au chant ample et prégnant, la Berceuse, op. 23, simplement tendre, et, sommet de ce bouquet, La Cathédrale blessée, op. 107, sombre pièce de 1915 aux basses profonde dont Batsashvili saisit toute la sombre et douloureuse expression.
Mais le plus impressionnant nous attend en conclusion avec Après une lecture de Dante. Petit bout de femme, Batsashvili s’empare – de chaque fibre de son être – de la partition de Liszt. Elle y joue littéralement sa vie, avec l’autorité d’une grande. Ce phénoménal et visionnaire moment d’incandescence poétique lui vaut un triomphe. Menuet de Paderewski en bis - d’un chic fou !

A ce premier choix avisé de « L’Europe du Piano » succède un second, pas moins convaincant, en la personne de Benedek Horváth, qui joue « à domicile » puisque né à Budapest en 1989. Il a accompli l’essentiel de ses études à l’Académie Liszt, avant d’aller se perfectionner (à l’instar de son collègue et ami Florian Noack) auprès de Claudio Martinez Mehner, remarquable pédagogue en activité à l’Académie de Bâle.

Magnétique, son jeu manifeste une exceptionnelle intensité dès la Fantaisie en sol mineur, Wq 117/13 de CPE Bach : Horváth en tire tout le suc expressif sans nullement « romantiser » le propos. Suivent les six Bagatelles op. 126 de Beethoven dont l’interprète conçoit le déroulement dans l’esprit d’un cycle, tout en manifestant une parfaite acuité dans l’exploration de chacun de ses maillons. Mel Bonis aura aussi trouvé place dans le programme du jeune Hongrois avec deux extraits des Femmes de légende, recueil de sept portraits musicaux. Sans partition, le pianiste aborde Salomé et Desdemona avec des coloris raffinés ; il suggère et donne à voir. Avis aux interprètes curieux, ces « pièces de concert » valent amplement le détour – à condition de s’y investir pleinement comme c'est ici le cas.

Le disque a illustré les affinités de B. Horváth avec la Sonate de Bartók. Mais un disque ne sera jamais qu’un disque ; c’est en concert – et dans une acoustique aussi parfaite pour le piano que celle de la belle et intimiste salle Solti – que l’on prend toute la mesure de l’intensité minérale avec laquelle l’interprète aborde cette partition. Rien ne le détourne un seul instant de son but : magnétique, oui ! - radioactif aurait-on presque envie d’écrire. Horváth laisse le public sous le choc, avant de lui offrir deux Schubert/Liszt d’une grande noblesse.

Mariam Batsashvili et Benedek Horváth : deux choix avisés de « L’Europe du Piano » et deux artistes avec lesquels il faut désormais compter. Ils se produiront en septembre prochain à Toulouse dans le cadre du 38e Festival Piano aux Jacobins : ne les manquez pas !

Alain Cochard

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(1) www.concertclassic.com/article/37eme-festival-piano-aux-jacobins-de-toulouse-nouveaux-horizons
 
Budapest, Académie Franz Liszt (salle Solti), 8 avril 2017
 
Site de Benedek Horváth : benedekhorvath.com/index.html
Site de Mariam Batsashvili : mariambatsashvili.com/index.php/en
 
Photo Benedek Horváth © Jean-Baptiste Millot

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