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37ème Festival Piano aux Jacobins de Toulouse – Nouveaux horizons

Inauguré le 6 septembre dernier par Richard Goode, la 37ème édition de Piano aux Jacobins bat son plein jusqu’au 28 septembre. A la suite du pianiste américain, Christian Zacharias, Teo Gheorghiu – Concertclassic s’est fait l’écho de son splendide récital (1) -, Aaron Pilsan, Gina Alice, Lucas Debargue ou Nelson Goerner se sont déjà produits cette année à Toulouse. Une série d’interprètes qui illustre l’esprit d’une manifestation depuis toujours attachée aux grands noms du clavier, mais très curieuse aussi de la nouvelle génération.

« Lancé en 1980, Piano aux Jacobins a eu la chance de recevoir des personnalités extraordinaires, qui ont vraiment écrit l’histoire du piano, note Catherine d’Argoubet, co-fondatrice et co-directrice artistique du festival avec Paul-Arnaud Péjouan (photo). Cziffra, Bolet, Horszowski, Magaloff, Sandor, Cherkassky, Larrocha, Berman, Ciccolini ... La présence de ces légendes nous a permis de fidéliser le public. »
Et de gagner sa confiance pour l’amener à découvrir de jeunes artistes - parfois totalement inconnus en France. C. d’Argoubet se souvient d’une conversation avec Nikita Magaloff au cours de laquelle, face à une interlocutrice s’étonnant du temps important qu’il consacrait à la pédagogie, le maître fit part de « sa joie profonde de dialoguer avec de jeunes pianistes, de leur transmettre un héritage, de se confronter à leurs idées. » Un exemple d’ouverture sur l’avenir qui n’est sans doute pas étranger à la place accrue des jeunes talents à l’affiche du festival depuis une quinzaine d’années.

Magie d'une soirée au Cloître ... © J.C. Meauxsoone
 
Parmi ceux-ci, un toulousain désormais internationalement reconnu, Bertrand Chamayou, est de retour cette année. « Bertrand est un pianiste emblématique du goût de Jacobins pour la découverte ; il a donné son premier récital au Cloître à 14 ans dans le cadre d’une soirée au profit d’une œuvre, se remémore P.-A. Péjouan. » Le pianiste n’a guère tardé à faire son apparition dans la programmation officielle et le festival entretient désormais « un lien très solide avec lui.» « Il a cheminement et un développement musical très forts, ajoute C. d’Argoubet, nous l’avons toujours réinvité dans des projets marquants tels que le « Concert Dédale » au Musée des Abattoirs en 2010(2), l’intégrale des Années de Pèlerinage en 2011(3), ou des tournées en Chine.» Le cloître est archi-complet depuis la fin juin pour l’intégrale Ravel que Chamayou donnera le 27 septembre. On ne saurait mieux faire mentir un célèbre adage ...
 

La salle capitulaire du Cloître des Jacobins et le piano, réglé depuis 1980 par un orfèvre en la matière : François Petit © J.C. Meauxsoone
 
Si la jeunesse est souvent présente sur la scène, elle ne fait pas défaut non plus parmi l’auditoire et on ne peut que saluer les efforts des organisateurs en ce sens. « Nous pratiquons une politique tarifaire très favorable au jeune public depuis les débuts du Festival, insiste C. d’Argoubet. Pour 50 € notre abonnement étudiants permet d’assister à la totalité des concerts – soit moins de 3 € par concert. En cas d’achat de place ponctuel, le tarif est de seulement 6 €. »
 
Le répertoire classique et romantique occupe une place importante dans les programmes et le piano moderne demeure l’unique objet de l’attention des directeurs artistiques. « Nous restons centrés sur le piano, remarque C. d’Argoubet, mais en nous ouvrant à des répertoires nouveaux. » Apprenant l’envie de Michel Petrucciani de se produire dans un festival de piano classique, C. d’Argoubet et P.-A. Péjouan n’ont pas hésité une seule seconde et l’ont invité en 1997 - une mémorable soirée à la Halle aux Grains. Avec lui, le jazz faisait son entrée à Piano aux Jacobins. Il ne l’a pas quitté depuis et c’est à Jacky Terrasson, grand fidèle du festival, et à Stéphane Belmondo (trompette) que revient la soirée de clôture de la 37e édition, quelque jours après que Philippe Léogé aura donné un concert réservé au public étudiant.
 

A l'Auditorium St-Pierre des Cuisines © J.C. Meauxsoone

Nouveaux répertoires ? La musique française rare défendue par le Palazzetto Bru Zane a aussi trouvé sa place aux Jacobins, et ce dès les débuts du Centre de musique romantique française, inauguré en 2009. « L’idée de Nicole Bru de mettre l’accent sur le répertoire français - où tant d’œuvres restent à découvrir s’agissant du piano – nous a immédiatement séduits, confie C. d’Argoubet. Alexandre Dratwicki a répondu avec enthousiasme à ma proposition de s’associer au festival. » Depuis, des concerts en partenariat avec le PBZ sont organisés chaque année, le plus souvent dans le cadre - parfait pour le piano - de l’Auditorium de St-Pierre des Cuisines. C’est le cas cette année du programme à quatre mains (Saint-Saëns, De la Tombelle, Bizet, Ravel) de Guillaume Bellom et Ismaël Margain (19 sept). Mais il est des exceptions : ainsi pour le très original récital de Philippe Bianconi - un artiste habitué de Piano aux Jacobins depuis des années - qui se déroulera au Cloître (23 sept). Bâti autour du thème de la danse, il rassemble des pages de Saint-Saëns, Chopin, Bonis, Chaminade, Debussy et Liszt.
 

© J.C. Meauxsoone

« Les deux fondations qui nous soutiennent s’associent à l’évolution du festival et y prennent une part active et dynamique », se réjouit C. d’Argoubet. Car, à côté de la Fondation Bru Zane, la Fondation BNP Paris œuvre aussi aux côtés de la manifestation toulousaine et ce depuis le mitan des années 1980.
La Fondation BNP Paribas soutient cette année la création de la version pour récitante, piano, saxophone et percussions d’Orfeo de la compositrice italienne Silva Colasanti, un ouvrage donné, dans sa mouture initiale pour récitante et petit orchestre, en décembre 2015 à la Philharmonie de Paris sous la direction de Claire Gibault.
Dans ce contexte on pouvait déjà y découvrir P.-A. Péjouan sous son autre visage : Axel Arno. Derrière ce pseudonyme, le co-directeur artistique de Piano aux Jacobins exerce des activités de photographe, plasticien et vidéaste. Avec le concours de Maurice Salaün, il a conçu un contrepoint visuel à Orfeo, que l’on découvrira à l’Auditorium St-Pierre des Cuisines (26 sept.) lors d’une création confiée à  Sandro de Palma pour la partie pianistique. « Sandro de Palma est un pianiste italien marquant de sa génération, note P.-A. Péjouan, qui s’est toujours intéressé à la création contemporaine, comme aux répertoires rares. Il s’agit de sa deuxième collaboration avec Silvia Colasanti dont il a créé le saisissant Rumbling gears l’an dernier au Festival L’Esprit du Piano à Bordeaux. »(4)
 
De nouveaux horizons s’ouvrent à partir de cet automne pour Piano aux Jacobins avec le projet « L’Europe du Piano ». « Dans le cadre du programme Europe Créative (programme cadre de l'Union Européenne pour la Culture), le projet « L’Europe du Piano », initié par Piano aux Jacobins, a été retenu pour la période 2016-2018, en partenariat avec l’Associazione Clementi de Rome (placée sous la direction artistique de Sandro de Palma) et l’Académie Franz Liszt de Budapest, deux auxquelles s’ajoutent en tant que partenaires associés le Concours Reine Elisabeth, Yamaha Artists Europe et la Fondation Bru Zane, explique P.-A. Péjouan. Dès la fin du 37e Festival un jury, composé de représentants de Piano aux Jacobins, de l’Assoziazione Clementi et de l’Académie Franz Liszt, se réunira à Toulouse pour choisir, parmi vingt-cinq candidatures présélectionnées, les cinq lauréats (issus de divers pays européens) de L’Europe du Piano pour 2016-2107 ; une seconde sélection interviendra ultérieurement pour 2017-2018.

« Notre but, poursuit P.A. Péjouan, est de faciliter l’insertion professionnelle de ces jeunes musiciens en leur offrant des concerts, en France, en Italie et en Hongrie, mais aussi d’organiser des colloques professionnels afin de faciliter les rencontres avec des agents artistiques, des facteurs de piano, etc. En France les concerts seront l’occasion pour Piano aux Jacobins d’irriguer les scènes de la nouvelle grande région Occitanie. » « L’Europe du Piano va donner un nouveau souffle à Piano aux Jacobins, conclut C. d’Argoubet ! »

Une belle initiative par-delà les frontières, qui vient s’ajouter à la déjà longue histoire de Piano aux Jacobins dans l’Empire du Milieu. « 2017 marquera la 13e année de présence de Piano aux Jacobins en Chine. D’autres festivals ont tenté de mettre le pied en Chine mais, constate P.A. Péjouan avec une indéniable satisfaction, le seul festival de piano occidental pérenne en Chine demeure Piano aux Jacobins. De plus, Jacobins est partenaire là-bas du Concours Rising Stars Piano BNP Paribas qui, depuis quatre ans maintenant, a permis de récompenser de jeunes lauréats des Conservatoires de Pékin et de Shanghai, auxquels vont s’ajouter à compter de 2017 des lauréats du Conservatoire de Nankin. »

Alain Cochard
(Entretien avec C. d’Argoubet et P.-A. Péjouan réalisé les 16 et 17 septembre 2016)

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(1) www.concertclassic.com/article/teo-gheorghiu-au-festival-piano-aux-jacobins-une-emouvante-revelation-compte-rendu
(2) www.concertclassic.com/article/compte-rendu-bertrand-chamayou-au-31e-festival-piano-aux-jacobins-magique-dedale
 
(3) www.concertclassic.com/article/bertrand-chamayou-inaugure-le-32e-festival-piano-aux-jacobins-magique-ouverture-compte-rendu
(4) Manifestation dont Paul-Arnaud Péjouan est le fondateur et le directeur artistique.

 
37e Festival Piano aux Jacobins, jusqu’au 28 septembre 2016 / www.pianojacobins.com

Photo Paul-Arnaud Péjouan & Catherine d'Argoubet © DR

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