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L’Orchestre national de Lille aux Bartokiades de Dijon - Un regard différent - Compte-rendu

Chanceux les mélomanes dijonnais : à peine terminée la série des six représentations de la remarquable Traviata mise en scène par Jean-François Sivadier, l’Auditorium de Dijon s’est lancé dans le second volet de ses « Bartokiades » avec un concert de l’Orchestre national de Lille, une formation que l’on retrouve de façon assez régulière à Dijon.

Les Deux images pour orchestre op 10 montrent un Bartok nourri de la leçon d’un coloriste nommé Debussy. En pleine fleur, Danse villageoise : le compositeur n’a pas choisi par hasard des titres en français... Jean-Claude Casadesus et ses troupes se régalent des timbres foisonnants, des rythmes drus de ce diptyque trop rare au concert. A une œuvre de jeunesse succède l’ultime Concerto n°3 du Hongrois. Le piano est déjà en place (bonne idée qui évite de « casser » la première partie comme cela se pratique trop souvent à Paris) et Denis Kozhuhkine, 1er Prix du Concours Reine Elisabeth 2010 (1), rejoint vite le clavier. Une partition certes plus « facile » que les deux concertos précédents, tant pour l’exécutant que l’auditeur ; mais dans laquelle l’interprète se garde de toute séduction trop immédiate. Cette approche âpre, pessimiste, sombre (des fantômes rôdent dans l’Adagio religioso…) est servie par une technique souveraine, une sonorité riche et mate et un sens de la grande ligne qui ne soulignent que mieux la convaincante singularité de l’option défendue dans une belle entente avec les Lillois.

Vision différente et stimulante aussi que celle proposée par Jean-Claude Casadesus de l’archi-rebattue Symphonie n°9 de Dvorak. «Du Nouveau Monde » : la référence à l’Amérique est souvent prétexte à des conceptions excessivement clinquantes et « technicolor ». Rien de cela sous la baguette du maestro lillois. Son interprétation ne manque ni d’énergie, ni de cette indispensable sensation d’espace, que la belle acoustique de l’Auditorium de Dijon permet d’approfondir, mais elle se nourrit d’abord d’une prégnante nostalgie de la terre natale. Les progrès de l’ONL rajeuni depuis quelques années permettent à Casadesus une approche moins volontariste qu’elle ne l’eût été par le passé. Il a toute latitude pour relâcher la bride quand il lui plait ; jouer la carte de la suggestion, faire frémir la couleur - la petite harmonie fait des merveilles !  Ainsi menée la Symphonie en mi mineur fuit le clinquant et le tape-à-l’œil pour embarquer l’auditeur dans un voyage poétique plein d’images et de parfums. Le cœur de l’Opus 95 bat à Prague, pas à New York.

Alain Cochard

Dijon, Auditorium, 15 janvier 2012

(1) Denis Kozhuhkine (1er Prix), Eveni Bozhanov (2ème Prix), Hannes Minnar (3ème Prix) : de quel flair exceptionnel les jurés du Reine Elisabeth ont-ils fait preuve lors de l’édition 2010.

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Photo : DR
 

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