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Lohengrin à l’Opéra national du Rhin – Que nul ne dorme – Compte-rendu
Comme Calaf, Lohengrin est d’abord l’anonyme, mais contrairement au héros puccinien, il défend que l’on cherche à connaître son nom – ce qui revient peut-être à mettre Elsa au défi de l’apprendre. Et tout comme nul ne pourra dormir à Pékin tant que ce nom ne sera découvert, la fille du duc de Brabant n’aura pas de repos tant qu’elle ne lui aura pas fait avouer.
Ce dimanche 10 mars, l’Opéra de Strasbourg affichait salle comble pour un opéra disparu de l’affiche de l’Opéra du Rhin depuis trente ans, et nul ne pouvait dormir puisque cette représentation marquait la prise de rôle de Michael Spyres (photo) et sa première interprétation d’un opéra de Wagner dans son intégralité. De fait, après deux premiers actes où l’on a pu sentir que le chanteur se ménageait, le troisième acte est venu apporter la confirmation de son adéquation à ce répertoire nouveau pour lui : le duo avec Elsa coule sans heurts, et les différents monologues qui suivent sont eux aussi parfaitement maîtrisés, sans effort apparent et avec un superbe legato. La couleur peut étonner, car on sent que le ténor américain aborde l’opéra allemand après avoir longtemps fréquenté la musique italienne et française de la première moitié du XIXe siècle. Dès cet été, Siegmund à Bayreuth dira si cette orientation est judicieuse.
© Klara Beck
Autour du rôle-titre, la distribution n’est pas tout à fait homogène, notamment à cause du regrettable forfait d’Anaïk Morel, contrainte de renoncer à Ortrud quelques jours avant la première. Aucun risque que quiconque puisse dormir quand le personnage est confié à Martina Serafin : si le vibrato est d’abord gênant, mais n’empêche pas une belle présence scénique, les aigus hurlés et faux du dernier acte réveilleraient les morts. Face à elle, Josef Wagner est un Telramund un peu trop gentil, lui qui était à Lyon un Barak justement admirable d’humanité. Edwin Fardini offre un héraut claironnant et Timo Riihonen un jeune roi Henri. Après Bastille en début de saison, Johanni van Oostrum est une Elsa fraîche mais son personnage ne touche guère, en partie à cause de la production.
© Klara Beck
Face à la mise en scène de Florent Siaud, en effet, il n’est pas garanti que nul ne dorme. Le spectacle tourne parfois au concert en costumes à la Yannis Kokkos, même si une longue note d’intention invoque toutes sortes d’autorités pour expliquer que Lohengrin dénonce « une violence d’Etat qui n’admet pas la contradiction », dans un univers dystopique renvoyant à La Servante écarlate : robes à capuche pour les femmes, mariages collectifs (Elsa et Lohengrin ne sont qu’un des sept ou huit couples bénis en même temps par Henri), purges – quelques pendus tombant des cintres décorent le premier tableau du deuxième acte – et autodafés de livres. Ces quelques détails restent néanmoins isolés dans une lecture qui, par ailleurs, ne présente pas vraiment de regard personnel sur l’œuvre, à part le remplacement du cygne par la constellation du même nom, qu’Elsa observe au télescope. Et si l’atmosphère générale s’apparente aux années 1930, la troupe d’enfants – les compagnons de jeu du petit Gottfried – porte des habits d’aujourd’hui.
Nul ne dormira en tout cas en écoutant la direction ardente d’Aziz Shokhakimov qui entraîne dans l’épopée l’Orchestre philharmonique de Strasbourg et le double chœur réunissant les forces de l’Opéra du Rhin et celles d’Angers Nantes Opéra. La fresque épique se pare de couleurs rutilantes dans les grandes scènes de foule, mais le chef trouve aussi les accents nécessaires aux moments plus intimes, contribuant à la réussite musicale de cette représentation.
Laurent Bury
Wagner : Lohengrin – Strasbourg, Opéra, 10 mars ; prochaines représentations à Strasbourg les 13, 16, 19 et 22 mars, puis à Mulhouse les 7 et 10 avril 2024 // www.operanationaldurhin.eu/fr/spectacles/saison-2023-2024/opera/lohengrin
Photo © Klara Beck
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