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​L’isola disabitata de Haydn à l’Académie Franz Liszt de Budapest – Pourvu que l’on s’en donne les moyens… – Compte-rendu

 
Les opéras de Haydn – pas moins de dix-sept à son catalogue – peinent encore à s’imposer au répertoire des théâtres lyriques, hormis Il mondo della luna, qui avait même connu les honneurs du festival d’Aix en 1959. Malgré la bonne volonté de quelques stars – Callas en 1951, Bartoli en 1995 - L’anima del filosofo ne s’est pas davantage imposé. Le Haydneum de Budapest a donc du pain sur la planche, et c’est avec raison qu’il vient de proposer, en conclusion de son festival d’automne, une interprétation de L’isola disabitata en version de concert.
 

© Haydneum - Pilvax films

 
Comme le rappelle le chef György Vashegyi (photo) dans son allocution préliminaire en hongrois, puis en anglais, c’est également sous forme de concert que l’œuvre fut créée à Esterháza en 1779, le théâtre du château ayant brûlé quelques semaines auparavant. Choix d’autant plus judicieux que L’isola disabitata pâtit encore d’un relatif malentendu : quatre solistes, pas de chœur, un orchestre d’une vingtaine de musiciens, cette partition d’une durée d’une heure et demie passe – à tort – pour être idéalement adaptée aux « opéras-studios » et aux troupes sans grands moyens financiers. Depuis quelques décennies, c’est dans de semblables conditions que l’on a pu voir ce même opéra en France, sans que la réussite soit vraiment au rendez-vous. Rien de tel à Budapest, et le Haydneum a su mettre de son côté tous les atouts pour que cette musique se révèle pleinement convaincante.
 

© Haydneum - Pilvax films
 
La version de concert a l’avantage d’éluder la question de la mise en scène : l’intrigue imaginée par Métastase est une de ces fantaisies comme le XVIIIe siècle les aimait tant, où au désespoir d’une amante abandonnée (Costanza par Gernando) se mêle le mythe de l’état de nature, la sœur de l’héroïne ayant grandi sur une île sans jamais voir d’autre humain que son aînée – on pense à La Dispute de Marivaux. Le manque d’action proprement dramatique – même si l’ œuvre se range dans la catégorie azione teatrale – est ici oublié grâce à l’intérêt constant de la musique, Haydn ayant renoncé aux récitatif sec au profit d’un accompagnement orchestral continu. A la tête de son Orfeo Orchestra, György Vashegyi sait rendre le discours toujours passionnant, relançant à chaque instant l’intérêt grâce à se direction affûtée et sensible. Il se passe ici sans cesse quelque chose, l’intérêt principal de l’œuvre résidant peut-être dans son écriture instrumentale.
 
De leur côté, les quatre solistes réunis pour l’occasion montrent que, même si leurs airs n’ont pas la complexité de ceux d’un opera seria, il faut mieux que des débutants pour défendre cette musique et la faire vivre. Szylveszter Szélpál prête à Enrico un timbre de baryton capable de belles couleurs sombres qui ferait merveille en Don Giovanni, et ne cherche à aucun moment à tirer le rôle vers plus de comique que ce n’est nécessaire, le seul moment pouvant prêter à rire étant celui où Silvia voit pour la première fois un homme, cette bête féroce que sa sœur lui a appris à détester. Le ténor est peut-être celui des personnages qui a le moins à chanter, mais Márton Komáromi sait lui conférer une élégance, une grâce toute mozartienne. Ágnes Kovács possède cette qualité rare qu’est le sourire dans la voix, qui convient idéalement à l’espiègle Silvia, à qui elle donne aussi l’ampleur nécessaire pour que le personnage ne se réduise pas à une écervelée. Enfin, retrouvant un rôle qu’elle a chanté à plusieurs reprises au cours des années 2010, Eszter Balogh est une magnifique Costanza : avec des accents qui rappellent parfois une Anna Caterina Antonacci, la mezzo campe une héroïne à la fois majestueuse et vibrante, drapée dans sa douleur mais prête à succomber à nouveau aux charmes de l’infidèle qui l’a jadis trahie. La preuve est ainsi faite que, pourvu que l’on s’en donne les moyens, les opéras de Haydn ont de quoi nous convaincre.
 
Laurent Bury

 Joseph Haydn. L’isola disabitata –  Budapest, Académie Franz Liszt, 2 novembre 2022
 
Photo © Wagner Csapo Jozsef

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