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Les Troyens au Festival Berlioz 2023 – Noblesse oblige (ou devrait) – Compte-rendu

Certes, les règles de la boxe furent sinon codifiées, du moins diffusées par le marquis de Queensberry, père de Lord Alfred Douglas, mais faut-il pour autant, lorsque l’on a été anobli par la feue reine, recourir à la force des poings pour régler le moindre différend ? Noblesse oblige, veut le dicton, ou si l’on songe à ce film britannique dont ce fut jadis le titre français, Kind Hearts and Coronets, le port de la couronne sur son blason ne devrait-il pas s’assortir d’un cœur doux, surtout si l’on a pour métier la musique, censée adoucir les mœurs ?

Mais bannissons ce triste souvenir, et laissons Sir John Eliot Gardiner digérer les effets indésirables de la canicule et de son nouveau traitement médical pour ne plus songer qu’à ces Troyens, œuvre qui donne décidément du fil à retordre au festival Berlioz. Après avoir présenté les deux volets très séparément pour cause de Covid, en 2019 et 2021, La Côte Saint-André devait marquer la première étape d’une vaste tournée européenne du drame virgilien sous la direction du fondateur de l’Orchestre révolutionnaire et romantique. Finalement, c’est Dinis Sousa, chef associé de cette formation qui a dû reprendre la baguette dès le deuxième soir, sans doute pour ne plus la lâcher.
 

© Bruno Moussier

L’énergie colorée de la direction d’orchestre est d’ailleurs ce qui saisit d’emblée dès les premières minutes de la partition, avec une effervescence admirablement rendue, le Monteverdi Choir, d’une précision égale à sa puissance, faisant une entrée tout en mouvement. Il convient de dire quelques mots sur la mise en espace de ces deux concerts qui seront réunis en un seul lors de la tournée, au moins parce qu’elle est en partie la clé du conflit évoqué plus haut (Sir John Eliot se serait emporté parce qu’un des solistes était sorti à cour plutôt qu’à jardin, ou l’inverse). Passé l’effet initial créé par le surgissement du chœur, libéré des coulisses comme les Troyens sont enfin libérés de leurs remparts, ces allées et venues paraissent vite apporter très peu de chose au concert. Certains choix paraissent naïfs – pendant la tempête à Carthage, on voit Ascagne et Iopas courir à travers le plateau comme des dératés, ou Didon et Enée se promener en se donnant la main comme deux adolescents – et la volonté de faire trop souvent chanter les solistes de profil les rend beaucoup moins audibles. Et parmi les chanteurs, tous ne sont pas mis à leur avantage par la nécessité de se déplacer constamment entre les instrumentistes.
 

Dinis Sousa © Sim Canetty-Clarke

De Cassandre, Alice Coote a toute la fureur inspirée, et elle sait mettre en valeur les rares moments de tendresse de son personnage. Lui manque en revanche cette noblesse de ton et d’allure qui devrait caractériser la fille de Priam ; confinée derrière un pupitre, elle n’aurait pas eu à constamment retrousser à deux mains le somptueux caftan lamé dont elle est vêtue. Paula Murrihy commence par ne prêter à Didon qu’une compassion assez impersonnelle pour ses chers Tyriens, mais l’interprète devient plus expressive au dernier acte, un peu au détriment de la distinction du personnage. Si ces dames s’expriment dans un français tout à fait correct, l’éloge de la diction de Michael Spyres n’est plus à faire, son Enée nous le rappelle une fois encore. En revanche, à jouer au baryténor, le chanteur américain semble avoir perdu le brillant de son aigu : dans l’air ultime du héros troyen, les notes hautes de « bienfaitrice des miens » et des phrases suivantes n’ont pas tout à fait la vigueur et l’éclat que l’on souhaiterait.
 

© Bruno Moussier

Autour de ce trio principal, les seconds rôles sont sans reproche : le Chorèbe de Lionel Lhote ranime le souvenir de toute une école de chant par son phrasé stylé, Beth Taylor est une Anna piquante au beau timbre grave, et Adèle Charvet s’acquitte avec charme des quelques interventions d’Ascagne. Apparemment bien remis des émois de la veille, William Thomas est un Narbal d’une belle densité, tandis que, dans la même tessiture, Alex Rosen est un bel Hector et une Sentinelle pleine de verve, leur confrère Ashley Riches ayant tendance à un peu trop grimacer lorsqu’il chante. Aussi superbe en Iopas qu’en Hylas, le ténor Laurence Kilsby confirme le grand talent qu’on a pu entrevoir à l’Académie de l’Opéra de Paris.

Depuis l'incident survenu à l'issue du premier concert, Sir John Eliot Gardiner a pris la mesure de son acte inacceptable et diffusé un message où il présente ses excuses à Will Thomas ainsi qu'à tous les artistes. On ignore pour le moment quels seront les effets à long terme de cet acte de contrition.

Laurent Bury

Hector Berlioz : Les Troyens - La Côte-Saint-André (Château), 22 & 23 août ; prochaines étape : Salzbourg le 26, Versailles le 29 août (tinyurl.com/37xv4w2k), Berlin le 1er,  Londres le 3 septembre 

Photos © Bruno Moussier
 

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