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Les Noces de Figaro à Toulouse – Le feu aux poudres – Compte-rendu

 

D’emblée, dès l’attaque de l’ouverture, avec cette étincelle qui allume l’orchestre, on est choqué au sens fort du terme par la violence avec laquelle Hervé Niquet lance le jeu, comme un bouzkachi afghan ! A qui attrapera la première note….L’œuvre est une folie, on le sait, comme l’indique le titre de la pièce de Beaumarchais, mais elle implique aussi une réflexion profonde, au scalpel sur quelques grands thèmes qui n’ont rien de joyeux. Et l’on a donc été longtemps habitué à plus de langueur dans les passages un peu rêveurs, qui ne sont pas légion, il faut l’avouer, mais ici l’attaque du chef secoue, décidément, et cette furia-follia se prolonge tout au long de la représentation, en une vraie vision psychologique, historique, autant que sonore.
 

Karine Deshayes (La Comtesse) @ Eléonore Pancrazi (Chérubin) © Mirco Magliocca
 
Si l’on connaît bien la vigueur un peu rageuse avec laquelle Niquet croque habituellement les noisettes musicales, vigueur ici magnifiée par l’acoustique très réverbérante de l’illustre salle, on peine à le suivre, en se demandant comment les chanteurs font pour répondre à de telles injonctions. Mais le déroulement des conflits, qui se résolvent sur un statu quo, car tout recommencera, on l’imagine, en est vivifié et si l’émotion n’est guère présente, l’action, elle, ne chôme pas. On révise donc ses conceptions, un peu entamées : avec notamment cette réflexion de Wagner, dans un essai de 1846, lequel, ayant reçu les réflexions d’un certain Dionys Weber, lequel avait suivi les lectures d’orchestre faites par Mozart pour son opéra, raconte combien « le maître n’arrivait pas à faire jouer l’ouverture aussi vite qu’il le voulait vraiment ». Et l’on possède aussi quelques indications de tempi recueillies par J. N. Hummel, élève de Mozart, qui dit combien celui-ci souhaitait de vitesse.

Anaïs Constans (Suzanna) & Eléonore Pancrazi (Chérubin) © Mirco Magliocca
 
Tout au long de la représentation, on est donc porté par l’énergie affolante que communique le chef aux musiciens de l’Orchestre du Capitole et aux interprètes, dans une véritable exacerbation des tensions, et l’on galope avec les chanteurs, superbement mis en scène par Marco Arturo Marelli, qui ne bouscule en rien les codes d’époque, exaltés notamment par les merveilleux costumes de Dagmar Niefind, dignes de Watteau. Certes, cette production date de 2008, mais elle n’a pas pris une ride, tout simplement parce que le spectacle ne se voulait pas bourré de poncifs à la mode.
 

Emiliano Gonzalez Toro ( Don Basilio), Anaïs Constans (Suzanna) & Michael Nagy (Le Comte) © Mirco Magliocca

L’intérêt renouvelé étant, outre la baguette-cravache du chef, la distribution qui amène quelques surprises par rapport à la création de 2008 : en effet, Karine Deshayes y incarnait Chérubin. La voici aujourd’hui dans sa première comtesse, où sa voix dorée a paru un peu lasse, avec un jeu tendu. Tandis que Suzanne était incarnée avec une vivacité, une gouaille irrésistibles par Anaïs Constans, annoncée comme souffrante, ce qui ne s’est guère vu ni entendu. Charme frétillant d’Eléonore Pancrazi pour le difficile rôle de Cherubin, qu’elle assume avec beaucoup de drôlerie, plus que de grâce nigaude, et excellent duo des parents de Figaro, Ingrid Perruche et Frédéric Caton, cocasses à souhait, ainsi que le savoureux Basilio d'Emiliano Gonzalez Toro. Les deux héros masculins, ou plutôt les deux duellistes, le Comte, Michael Nagy, particulièrement à l’aise dans sa bestialité si peu aristocratique, et Figaro, Julien Véronèse, extrêmement combattif, font assaut de décibels et de gestique virile, tandis que la Barberine de Caroline Jestaedt a bien peu d’innocence.
 

Hevé Niquet © Guy Vivien
 
Plaidoyer pour les femmes, plaidoyer pour leur intelligence et leur habileté à faire face à ceux qui se présentaient comme leurs maîtres, franc-parler des protagonistes, lutte des classes mise à feu par Beaumarchais et reprise par Da Ponte-Mozart avec une ardeur subversive, on est accoutumé à tout cela, dont le propos est bien dans l’air du temps actuel, mais il est bon de le ressentir avec cette force de frappe, tandis que Hervé Niquet, vu de dos dans la fosse, avec ses grandes mains battant l’air et son col relevé, a des allures de conventionnel. Et lorsque tout ce joli monde se disperse en chantant frénétiquement « corriam tutti a festeggiar », on se doute qu’inéluctablement, au lieu de courir vers quelque fête galante, c’est en direction de la Bastille que leurs pas ne tarderont pas à les mener. Folle journée amoureuse, et feu aux poudres …
 
Jacqueline Thuilleux

Mozart : Les Noces de Figaro – Toulouse, Capitole, 27 janvier ; dernière représentation le 31 janvier 2023 // www.theatreducapitole.fr/web/guest/affichage-evenement/-/event/event/6076268
 
Photo © Mirco Magliocca
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