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Les Archives du Siècle Romantique (56) - Eugène Labiche : En attendant la chute de La Vie parisienne (ou La Grammaire attendra)
La Vie parisienne proposée par le Palazzetto Bru Zane constitue l’un des événements lyriques de cette fin 2021 (la tournée s’étale du 7 novembre au 9 janvier avec près de vingt-cinq dates entre Rouen, Tours et Paris).(1) La mise en scène de Christian Lacroix et la luxueuse double distribution réunie pour l’occasion sont évidemment des atouts de poids, mais on ne sera pas moins sensible au fait que la production s’appuie sur la version originelle de l’ouvrage. Vous imaginiez connaître le célèbre opéra-bouffe d’Offenbach ? Il n’en est rien !
La musique dite légère est on le sait une affaire plus que sérieuse pour le Palazzetto Bru Zane, qui a mené un important travail de recherche afin de reconstituer la version ante-prima d’un des plus célèbres titres du Mozart des Champs-Elysées. On la découvrira, sous la baguette de Romain Dumas, avec des artistes aussi rompus à ce répertoire que Jodie Devos, Florie Gauthier-Valiquette, Rodolphe Briand, Flannan Obé, Marc Mauillon, Laurent Deleuil, Marc Labonette, Franck Leguérinel, Sandrine Buendia, Marion Grange, Aude Extrémo, Eléonore Pancrazi, Eric Huchet, Damien Bigourdan, etc.
Les Archives du Siècle romantique de ce mois de novembre font naturellement place à La Vie parisienne, et ce de manière quelque peu inattendue. C’est en effet à travers le regard d’Eugène Labiche (photo) qu’on pourra, au fil des lettres qui suivent, juger du formidable accueil que le public parisien réserva à Offenbach.
Lorsque l’ouvrage arriva en répétition au théâtre du Palais-Royal, Labiche attendait son tour pour faire jouer une nouvelle pièce, La Grammaire (coécrite avec Alphonse Leveaux alias Alphonse Jolly). Au vu des difficultés rencontrées par le compositeur et ses librettistes (Meilhac et Halévy), l’auteur du Voyage de monsieur Perrichon s’attendait à une chute rapide de leur nouvel opéra-bouffe. Il se leurrait totalement ! Offenbach connut « un succès insensé » – Labiche dixit – et La Grammaire dut attendre de longs mois avant de connaître sa première, le 27 juillet 1867.
Alain Cochard
Jules Brasseur, interprète du Brésilien lors de la création de la Vie parisienne © Paris Musées Musée Carnavalet
En attendant la chute de La Vie parisienne.
Source : Correspondance Labiche-Leveaux (BnF, département des manuscrits NAF 15542).
Souvigny, 9 oct. 1866
[…]. J’ai parlé, dans mon court séjour à Paris, de notre petite pièce à Dormeuil et il a été convenu qu’on la mettrait en répétition aussitôt que la pièce d’Offenbach serait passée. Il est vrai que cette pièce n’avance pas vite, il s’agit de transformer Lassouche en ténor et il soutient qu’il n’est qu’un baryton, Perier et Mme Thierret cherchent encore leur note et ne sont pas sûrs de l’emploi chantant qu’ils doivent jouer. Ce théâtre est un vrai pétrin, les acteurs font des couacs et rendent leurs rôles, on agrandit l’orchestre des musiciens aux dépens du public et surtout du directeur. Cependant j’espère que cet opéra passera vers le 1er novembre. Mais s’il a le succès de La Belle Hélène, cela pourra nous retarder, car on ne donnera pas de pièces nouvelles tant qu’il fera de l’argent. Cela te donnera le temps de revenir et d’assister aux répétitions. Ce qui le console, c’est que nous sommes certains d’être joués en bonne saison. En matière de théâtre je suis comme les hortensias, je crains le soleil. […]
À toi,
Eugène Labiche
*
Paris, 9 novembre 66
Mon cher ami,
Tu as sans aucun doute appris le grand succès du Palais-Royal, La Vie parisienne, c’est insensé, c’est genre Charenton, cela n’a aucune forme comme pièce, mais c’est amusant, grotesque, bouffon et spirituel. Il y a là un succès de trois mois qui va retarder notre petite pièce. […]
*
Paris, 8 Xbre 1866
[…] Je ne pense pas que nous lirons notre petit acte avant ton arrivée. La Vie parisienne fait toujours des recettes folles (4 200 fr) et naturellement le théâtre ne se presse pas de renouveler son répertoire. Je crains que le succès ne se prolonge jusqu’au mois de mars et ne se trouve ravivé à cette époque par l’exposition. […]
*
© Paris Musées Musée Carnavalet
Paris, 18 mai 1867
Mon cher ami,
Un mot seulement. Les pluies ont fait remonter les recettes de La Vie parisienne et ajoute à cela l’annonce, sur l’affiche, des dernières représentations et tu comprendras cette recrudescence. Enfin on fait 3 400 et 3 500, mais voici le soleil et les recettes ne tarderont pas à redescendre. Mais le baromètre baisse de nouveau et alors les recettes remonteront. Cela peut durer comme cela jusqu’à la fin du monde. […]
*
22 mai 1867
[…] Rien de nouveau au Palais-Royal, on annonce tous les jours les dernières de La Vie parisienne et comme la pluie est revenue, on fait invariablement plus de 3 000 fr. […]
*
18 juillet [1867]
Mon cher ami
Je reçois une lettre de Léon Dormeuil qui m’annonce que les recettes de La Vie parisienne sont remontées avec le mauvais temps, à 2 800 et 2 900 et qu’il lui est impossible en présence de pareilles recettes de changer son affiche. […]
(1) La Vie parisienne en tournée (Tours : 7, 9, 10, 12, 13 novembre ; Rouen : 3, 5, 7 décembre ; Paris : 21, 22, 23, 26, 27, 28, 29, 30, 31 décembre 2021 & 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9 janvier 2022) : bru-zane.com/fr/evento/la-vie-parisienne/#
Photo : Eugène Labiche par Nadar
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