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​Les Archives du siècle romantique (50) – Pauline Viardot : Une Heure d’Étude. Exercices pour voix de femme écrits pour ses élèves (1ère Série, 1880) – Introduction

« La femme la plus géniale qu’il m’ait été donné de connaître » : le témoignage de Clara Schumann est à la mesure de la fascination que Pauline Viardot exerça sur ses contemporains. Alfred de Musset, dont le cœur vibra ô combien ! pour Pauline García (qui épousa Louis Viardot en avril 1840) louait son timbre « rude et doux, analogue à la saveur d’un fruit sauvage ». « Elle est bien faite, élancée, avec un cou souple, délié, un tête attachée élégamment, de beaux sourcils, des yeux onctueux et brillants dont la petite prunelle noire fait plus vivement encore ressortir la nacre limpide, un teint chaud et passionné, une bouche un peu trop épanouie, peut-être, mais qui ne manque pas de charme » : ainsi Théophile Gautier, visiblement séduit, décrivait-il celle qui, ajoutait Berlioz, était née « dans une famille où le génie semblait héréditaire. »
 

Musica avril 1905 (p.53) © Coll. part.
 
Fille du ténor Manuel García(1775-1832) et sœur de Marie Malibran(1808-1838), c’est au côté de cette dernière que la jeune Pauline fit sa première apparition publique, en Belgique, très peu de temps avant que la camarde ne fauche son illustre aînée. « Elle débute comme d’autres voudraient finir », disait T. Gautier : le succès fut, il est vrai, vite au rendez-vous, donnant son élan à l’une des plus riches carrières lyriques du siècle romantique. « La Malibran est revenue au monde, il n’y a pas d’inquiétude à avoir, et on n’a qu’à laisser faire », s’exclamait Musset dans la Revue des Deux Mondes en janvier 1839 !  Très tôt, la mezzo se produisit à l’étranger ; elle tint le rôle de Desdemona dans l’Otello de Rossini à Londres dès 1838 ; on la vit en Russie à partir de 1843, pays dont le public la comblait par sa chaleur et sa spontanéité – et où elle rencontra bientôt en certain Ivan Tourgueniev ...
 
Pauline Viardot en Orphée © DR

Cette activité par-delà les frontières ne fit que s’accentuer après l’avènement du Second Empire en raison des sympathies républicaines du couple Viardot – Paul Viardot était, avec George Sand et Pierre Leroux, à l’origine de la Revue indépendante, qui défendait des thèses socialistes. Cet état de fait contribua à dresser bien des obstacles sur la route de la chanteuse en France, mais elle ne fut pas pour autant absente de ses théâtres et, parmi les temps forts de sa carrière, le rôle-titre de la Sapho de Gounod (1), en 1851 à l’Opéra, est à marquer d’une pierre blanche. A partir de la fin 1859 et au cours de l’année 1860, au Théâtre Lyrique, le parcours de la cantatrice parvint à l’un de ses moments les plus marquants lors des représentations de l’Orphée et Eurydice de Gluck dans la version d’Hector Berlioz. « C’est le sublime dans la grâce, c’est l’idéal de l’amour, c’est divinement beau » : ainsi l’auteur de Benvenuto Cellini salua-t-il une incarnation dont l’intelligence musicale et la force dramatique rallièrent tous les suffrages.
 
Interprète d’exception, Pauline Viardot – qui avait étudié la composition avec Reicha et le piano avec Franz Liszt, excusez du peu ! – fut aussi une remarquable compositrice dont l’art a été mis en lumière il y peu lors d’un très beau récital d’Aude Extrémo, accompagnée par Etienne Manchon, au Palazetto Bru Zane à Venise. (3) Ce programme, disponible à la réécoute, fournit prétexte au 50épisode de nos Archives du Siècle Romantique tandis que s’ouvre l’année du bicentenaire de la naissance de Pauline Viardot.
 

© DR

Le document que l’on découvrira ci-dessous, l’introduction à Une Heure d’Étude. Exercices pour voix de femme écrits pour ses élèves, adoptés au Conservatoire National de Musique (1ère Série – 1880, chez Heugel & fils) (3), met en lumière un autre visage de Pauline Viardot, celui de la pédagogue. Présent dans les activités de l’artiste depuis un bon moment déjà, l’enseignement prit une dimension officielle avec sa nomination au Conservatoire de Paris en 1870, peu avant le décès au printemps 1871 de Daniel-François-Esprit Auber (à la tête de l’établissement depuis 1842), auquel Ambroise Thomas devait succéder.
 
« Je revendique ma pleine et complète indépendance pour former des artistes qui recevront de moi seule un enseignement uniforme, successif et complet, déclarait Pauline Viardot. » Ne parvenant à ses fins dans un établissement dont le fonctionnement favorisait la circulation des élèves entre divers professeurs, elle en tira les conclusions et abandonna son poste en 1875. Elle fit toutefois un somptueux cadeau à la bibliothèque de l’institution de la rue Bergère (4) en lui léguant en 1892 le manuscrit du Don Giovanni de Mozart, qu’elle avait acquis en 1854 en vendant ses bijoux. Ce précieux document est désormais conservé, sous la cote Ms 1548, au département musique de la Bibliothèque nationale de France.(5)
 
Alain Cochard
 
 

© Gallica - BnF

Une Heure d’Etude. Exercices pour voix de femme écrits pour ses élèves et adoptés au Conservatoire national de musique (1ère Série, 1880) – Introduction
 
 
1. Avant tout, il faut s’assurer que le piano est au diapason normal, et bien d’accord.
 
2. Si l’élève s’accompagne elle-même, elle fera bien de s’asseoir le plus haut possible, et de placer un miroir sur son pupitre, afin d’observer sa figure et les mouvements de sa bouche. Elle se tiendra droite, la tête plutôt haute. 
 
3. Si elle est assez musicienne, et si elle a une assez bonne oreille pour n’avoir pas besoin de jouer tous les accompagnements, une fois l’exercice bien compris, il sera préférable qu’elle se tienne debout. Dans ce cas, l’élève aura soin de se tenir très-droite, un peu cambrée en arrière, la tête un peu relevée, le regard en avant, et de rester immobile sur ses pieds, sans se balancer d’un côté à l’autre, ni d’avant en arrière. Il faut, pour éviter ces deux mouvements également disgracieux, mettre les pieds à peu près dans la 2position de la danse, sans exagérer, et faire porter le poids du corps sur le pied qui est en arrière.
 
4. L’élève respirera très-lentement, très-profondément, par le nez en fermant la bouche, et gardera l’air un moment avant de commencer à chanter chacun des exercices. On ne saurait trop s’exercer et s’habituer à prendre de longues respirations par le nez.
Il y a plusieurs avantages à respirer par le nez. D’abord, l’air arrive moins froid dans le larynx, qu’il ne dessèche pas. Puis on évite d’ouvrir la bouche sans nécessité, et de faire ce bruit de soufflet si pénible et si anti-musical. Plus tard, quand il faudra aspirer beaucoup l’air en peu de temps, on entr’ouvrira les lèvres, de manière à respirer par le nez et par la bouche à la fois. Mais l’important est de s’habituer d’abord à respirer par le nez.
 
5. On aura grand soin d’éviter que la langue se soulève par la racine ou qu’elle se raidisse pendant qu’on chante.

6. L’ouverture de la bouche doit être modérée, naturelle, et la mâchoire, ainsi que la tête doit rester immobile.
 
7. La note devra toujours être attaquée juste, franchement, sans glissade d’aucune espèce, comme une note frappée sur le piano, sans pousser avec la poitrine, sans serrer le gosier, et sans faire précéder d’une aspiration qui produit un mauvais effet.
 
8. Les exercices devront être chantés à pleine voix naturelle, sans effort, sans altérer la voyelle, avec le même degré de force dans toute l’étendue de la voix, et sans nulle nuance, à moins qu’elle ne soit indiquée.
 
9. Il ne faut pas chanter plus d’un quart d’heure de suite.
 
10. Dès que l’élève s’apercevra que ce qu’elle fait n’est pas bien, que l’intonation n’est pas pure, ou que la respiration a été mal prise, ou que la qualité du son est défectueuse, elle devra s’arrêter à l’instant ; puis, après quelques secondes, pendant lesquelles le gosier reprend sa position normale, elle recommencera en concentrant toute son attention sur le passage défectueux.
 
11. En résumé, dès que l’on se met au piano, il faut concentrer sa pensée sur l’étude que l’on va faire et ne pas lui permettre de s’en distraire. Si l’on ne se sent pas disposé à une attention absolue, il vaut mieux cesser le travail et l’ajourner.
 

(1) Rappelons que les Lettres de Charles Gounod à Pauline Viardot, présentées et commentées par Melanie von Goldbeck, ont été publiées dans la collection Actes Sud / Palazzetto Bru Zane (442 pages, 45 €)
 
(2) Récital d’Aude Extrémo, accompagnée par Etienne Manchon (piano) : CR et lien replay : www.concertclassic.com/article/aude-extremo-rend-hommage-pauline-viardot-streaming-ressusciter-dalila-compte-rendu
 
(3) Les Exercices de Pauline Viardot sont disponibles dans leur intégralité et librement téléchargeables sur le site Gallica de la BnF : gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b525013302/f5.item
 
(4) Le Conservatoire quitta la rue Bergère pour s’installer rue de Madrid en 1911, un an donc après la mort de Pauline Viardot.
 
(5) : Pour en savoir plus sur le manuscrit de Don Giovanni : www.operadeparis.fr/magazine/le-manuscrit-de-don-giovanni
 
Illust. : Portrait de Pauline Viardot par Ary Scheffer © DR
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