Journal

​Aude Extrémo rend hommage à Pauline Viardot (Streaming) – Ressusciter Dalila – Compte-rendu

Bien plus que comme petite sœur de Maria Malibran, bien plus que comme compagne d’Ivan Tourgueniev, Pauline Viardot (1821-1910) mérite sa place au Panthéon des grands hommes, même en cette Journée internationale des droits des femmes. Chanteuse associée à quelques-unes des plus grandes œuvres de son siècle, compositrice, madame Viardot née García n’a pas encore la reconnaissance qu’elle mérite, et l’on espère qu’en cette année où l’on commémore le bicentenaire de sa naissance, le Palazzetto Bru Zane sera le premier mais non pas le seul à la fêter.

Pour rendre hommage à cette personnalité hors normes, encore fallait-il disposer de l’artiste idoine. Le Centre de musique romantique française l’a trouvée, en la personne d’Aude Extrémo, dont le timbre rare de contralto est aujourd’hui le mieux à même de rendre justice aux œuvres dont Pauline Viardot fut l’auteure, l’interprète ou l’inspiratrice. On se rappelle qu’il y a un quart de siècle, Cecilia Bartoli avait inclus quelques-unes de ses compositions dans son disque Chant d’amour : les entendre chanter par une artiste qui a les moyens d’une Dalila suscite naturellement une tout autre impression.

Le programme de ce concert enregistré dans la grande salle du palazzetto vénitien qui donne son nom au PBZ se divisait en deux parties, en commençant par un florilège de mélodies composées par Pauline Viardot elle-même (elle laisse aussi quelques œuvres instrumentales, et si l’Opéra Comique donna il y a quelques années sa Cendrillon, on serait curieux de découvrir les opéras qu’elle conçut sur des livrets de Tourgueniev).
 

© PBZ

Pour cette douzaine de mélodies, Aude Extrémo est amenée à s’exprimer en trois langues : un russe tout à fait maîtrisé, d’abord ; un français parfaitement articulé ensuite ; l’espagnol enfin pour une partie de la « Havanaise », insérée dans un bouquet d’espagnolades virtuoses dont des Filles de Cadix qui supportent sans peine la comparaison avec celles de Delibes (avec des « Ah » que la voix grave d’Aude Extrémo rend encore plus sensuels). Les mélodies russes sont aimées d’un grand dramatisme, et la partie de piano s’y élève au-dessus de l’accompagnement minimaliste (bravo au jeune pianiste Etienne Manchon qu’on découvre à cette occasion). Pour les mélodies françaises, Pauline Viardot sut aussi bien que ses contemporains choisir des poèmes propices à la mise en musique, comme le superbe « Ici bas » de Sully-Prudhomme.
 

Etienne Manchon © PBZ 

Dans la deuxième partie, Aude Extrémo rappelle que son talent s’épanouit aussi à l’opéra, comme le savent ceux qui suivent son parcours depuis une dizaine d’années. Le bel air de Marie-Magdeleine de Massenet, dont Pauline Viardot fut la créatrice et la dédicataire, a souvent été repris par des sopranos dramatiques, mais on est heureux de l’entendre ici restitué à sa « vraie » voix. Si l’Orphée de Gluck révisé par Berlioz est bien connu, on se réjouit que le trop rare air de Fidès du Prophète soit ici servi avec éloquence et pudeur. Et si Pauline Viadot fut hélas trop âgée pour créer le rôle de Dalila que Saint-Saëns lui destinait, Aude Extrémo a en revanche les moyens de camper une admirable séductrice biblique, comme ce fut le cas à Bordeaux en 2015 et comme on espère que l’occasion se représentera très prochainement pour elle.
Après ce concert, le Palazzetto Bru Zane dédiera-t-il à Pauline Viardot un disque, voire une intégrale de ses mélodies ?

Laurent Bury

Venise, Palazzetto Bru Zane, 8 mars 2021. Disponible en replay sur : bru-zane.com/fr/replay/
 
Photo © PBZ
Partager par emailImprimer

Derniers articles