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Les 30 ans de l’Arsenal de Metz – Synergies et éclectisme

Il y a trente ans, le 26 février 1989 très précisément, Mstislav Rostropovitch (accompagné par la Philharmonie de Lorraine sous la baguette de Jacques Houtmann) inaugurait l’Arsenal de Metz. Désaffecté depuis 1961, cet ancien entrepôt militaire s’était mué en un magnifique ensemble grâce au projet conduit par Ricardo Bofill à partir de 1985. Sur la recommandation d’Herbert von Karajan, l’architecte catalan avait fait appel à Lothar Cremer pour la partie acoustique : la réussite en ce domaine a permis à la Grande Salle (photo, 1363 places), toute de hêtre clair et d’érable sycomore revêtue, de s’imposer comme une référence en Europe.

2016 : naissance de la Cité Musicale-Metz
Elle le demeure trois décennies plus tard, mais dans un contexte différent. En 2016, la création de la Cité Musicale-Metz (CMM) a conduit au regroupement dans une même structure de l’Orchestre national de Metz (ONM), anciennement Orchestre national de Lorraine, de l’Arsenal et de deux salles de musiques actuelles : la BAM (la Boîte à Musiques, inaugurée en 2014) et les Trinitaires, l’Opéra-Théâtre (dirigé par Paul-Emile Fourny) restant en dehors même s’il entretient des liens étroits avec Cité Musicale du fait de la présence de l’ONM dans sa fosse pour toutes ses productions lyriques et chorégraphiques (cinq par an, soit un tiers de l’activité de la phalange).

Florence Alibert, directrice générale de la Cité Musicale Metz © Cité Musicale Metz

Synergies et projets croisés
Après cinq années passées à la direction générale du Palazzetto Bru Zane à Venise, Florence Alibert assure depuis octobre 2017 celle de la Cité Musicale-Metz. « Il s’agit d’un projet voulu, soutenu par la Ville, mais aussi par la Région et l’Etat, rappelle-t-elle. Il témoigne d’un consensus autour d’un pôle musical fort au sein de la Région, qui puisse faire rayonner la Ville et contribuer à son attractivité. La Cité Musicale traduit une volonté de créer des synergies, de trouver une plus grand cohérence dans la programmation et d’amener les programmateurs et directeurs artistiques des différentes entités réunies au sein de la CMM à dialoguer afin de susciter des temps forts et des projets croisés ».
Travail d’équipe et de coordination donc que celui qui conduit Florence Alibert à collaborer au quotidien avec Michèle Paradon, directrice artistique de l’Arsenal – à laquelle elle rend un hommage appuyé pour son action depuis trente ans –, avec Pierre Bertrand, directeur délégué aux musiques actuelles, et Patrick Perrin, programmateur musiques actuelles, pour bâtir la programmation artistique de la Cité. Et le public à l’embarras du choix : « toutes les esthétiques musicales sont présentées, de la musique médiévale à la création contemporaine, au jazz, à toutes les formes de musique actuelles, sans oublier un volet danse contemporaine important, qui fait partie de l’identité de l’Arsenal, rappelle la directrice générale. »

Attiser la curiosité du public
Les synergies créées par la Cité Musicale ont conduit à la « structuration de la saison autour de grands temps forts qui permettent aux genres musicaux de dialoguer entre eux. Tous les mois ou toutes les six semaines, précise F. Alibert, nous avons un temps fort thématique comprenant un concert de l’Orchestre, un programme de danse, des formations invitées, des musiques actuelles : c’est une manière d’attiser la curiosité du public et de le pousser à circuler d’une salle à l’autre, d’une esthétique à l’autre. »
La Cité Musicale ne manque pas de tirer parti des liens qu’elle peut nouer avec son territoire et d'autres institutions culturelles. Ainsi l'exposition « Peindre la nuit » (en cours jusqu’au 15/04/2019) du Centre Pompidou-Metz a-t-elle conduit la CMM à imaginer un temps fort en octobre dernier, intitulé « Ecouter la nuit , où l’on trouvait l’Orchestre dans un programme « Nuit étoilée », un spectacle du chorégraphe Christian Rizzo, un récital de Vanessa Wagner ou encore une nuit électro avec Fabien Berger et Chloé.
La Cité Musicale-Metz se souvient aussi de la terre d’accueil qu’a été la Lorraine du fait de son intense activité minière et sidérurgique. Celle-ci a provoqué diverses vagues d’immigration, dont une italienne, très importante, à laquelle a fait écho un temps fort « Viva l’Italia ! » le mois dernier. La saison prochaine, la Pologne sera à l’honneur – autre belle source d’inspiration pour les programmateurs.

David Reiland © Jean-Baptiste Millot

Un passage de relai exemplaire
A la rentrée 2018, une page s’est tournée dans la vie de l’Arsenal et de la Cité Musicale-Metz avec le passage de relai entre Jacques Mercier et David Reiland à la direction musicale et artistique de l’Orchestre national de Metz. Transition exemplaire. Jacques Mercier avait déjà invité à trois reprises (en 2013, 2015 et 2017) son jeune collègue à Metz et l’accord s’est fait de façon unanime autour du nom du chef belge. Florence Alibert ne manque pas de saluer « le travail de construction de l’Orchestre et la contribution de Jacques Mercier à son rayonnement seize années durant. » Un succession réussie, tant sur le plan humain que musical. « David Reiland est un musicien très exigeant, très méticuleux, qui effectue un travail remarquable en introduisant beaucoup de nouveau répertoire, en particulier du côté des auteurs classiques (Mozart, Haydn), tout en poursuivant dans la lignée de la musique française, inscrite dans l’ADN de la formation, et en élargissant vers le répertoire contemporain. Au bout de six mois, il règne une très belle entente artistique, pleine de promesses d’avenir, entre le directeur musical et l’Orchestre. »

Un disque Thierry Escaich en préparation
Poursuite dans la voie de la musique française et avancée jusqu’au contemporain : ce mois de février en offre une probante illustration puisque l’Orchestre national de Metz et David Reiland enregistrent un disque Thierry Escaich pour La Dolce Volta – label avec lequel l’ONM collabore depuis un album Fauré dirigé par Jacques Mercier, avec Philippe Cassard au piano. Prévu pour le mois d’octobre, il comprendra le Concerto pour orchestre, ouvrage créé par Paavo Järvi et l’Orchestre de Paris en janvier 2015 lors de l’inauguration de la Philharmonie de Paris (1), mais aussi le Scherzo fantasque pour deux pianos et orchestre, avec Wilhem Latchoumia et Vanessa Wagner, et le Chant des ténèbres, pour saxophone et cordes, avec Vincent David.

David Reiland © Cyrille Guir

« Piano Follies » pour les 30 ans de l’Arsenal
Pour l’heure, c’est aux 30 ans de l’Arsenal que la Cité Musicale-Metz convie le public avec un séduisant « Piano Follies », du 26 février au 6 mars. « Plutôt qu’un grand concert anniversaire, nous avons préféré une thématique susceptible de montrer toute la variété de la programmation de la Cité, explique Florence Alibert. En y réfléchissant avec Michèle Paradon, le piano nous a semblé idéal. » D’un concert symphonique dirigé par David Reiland avec, au clavier, le magnifique Lukáš Vondráček – Premier Prix du Reine Elisabeth 2016 – à « Mars II », « performance avec piano » de Karl Van Welden, en passant par Andreas Staier au pianoforte, Chilly Gonzalez, Paul Lay et Patricia Barber, l’affiche traduit un éclectisme très représentatif de la politique artistique de la Cité Musicale Metz.

Un lieu très prisé pour les enregistrements
On a rappelé plus haut les qualités acoustiques de l’Arsenal : « Trente ans après sa construction, et malgré toutes les nouvelles salles qui ont pu s’ouvrir depuis, l’Arsenal reste très prisé des artistes pour l’enregistrement, note la directrice générale. Nous avons récemment collaboré avec Geoffroy Couteau, le Quatuor Hermès, Vanessa Wagner ou François-Frédéric Guy – qu’un long compagnonnage unit à l’Arsenal. Parmi les projets d’enregistrement qui se profilent, on relève les noms de David Grimal ou du Concert de la Loge, ensemble en résidence à la Cité Musicale pour deux ans (2018-2020). » La présence de Julien Chauvin et de ses musiciens est aussi l’occasion pour la CMM de développer des projets avec le Concert de la Loge (sous toutes ses facettes, y compris le Quatuor Cambini-Paris). Ainsi, à l’automne prochain, pourra-t-on assister à un concert Haydn durant lequel une symphonie sera jouée par l’Orchestre national de Metz, l’autre par le Concert de la Loge. Instructive confrontation ...

L'Orchestre national de Metz en concert à l'Arsenal © Cyrille Guir

Au Festival Musica
A chapitre des résidences à la CMM, les compositeurs trouvent aussi leur place. Après Zad Moultaka, Loïc Guénin, créateur passionné par les liens entre musique et architecture, est actuellement en activité et, la saison prochaine, commencera une nouvelle résidence avec l’Italienne Clara Iannotta.
La musique d’aujourd’hui fait partie des centres d’intérêt de David Reiland et son arrivée à Metz a ouvert de nouveaux horizons pour l’Orchestre, telle cette collaboration avec le Festival Musica de Strasbourg dont le concert inaugural de l’édition 2019, en septembre prochain, reviendra au directeur musical et ses troupes.
Les projets abondent à la Cité Musicale. Certains d’entre eux découlent naturellement de la réunion d’une salle et d’un orchestre dans une même structure : cette situation, constate Florence Alibert, « permet de s’inscrire dans un principe de réciprocité avec d’autres salles et d’autres orchestres. » Avec la Philharmonie du Luxembourg par exemple : la saison 2019-2020 de l’Orchestre national de Metz comprendra un concert de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg et l’ONM sera quant à lui invité au Grand-duché dans le cadre du Festival Rainy Days en novembre prochain.

De solides atouts pour une candidature
Avec 300 000 visiteurs et spectateurs par an – soit peu ou prou le même chiffre que celui des visiteurs du Centre Pompidou-Metz –, 350 concerts et manifestations à Metz et dans sa région (un tiers de l’activité) – chiffre important pour une métropole de 240 000 habitants –, la Cité Musicale est le foyer d’une vie musicale particulièrement intense – le résultat du choix d’une ville dont 75 % du budget culturel va à la musique.
« De la musique avant tout chose » : Metz a décidément fait sien le vers d’un de ses plus célèbres enfants. Voilà qui lui donne toute légitimité pour bientôt poser sa candidature aux Villes Créatives-Unesco. Ce réseau regroupe actuellement 180 villes « qui placent la créativité et les industries culturelles au cœur de leur plan de développement au niveau local et coopèrent activement au niveau international » (2) La France compte déjà quatre villes, dans d’autres domaines que la musique : Saint-Etienne (design), Lyon et Enghien-les-Bains (numérique) et Limoges (arts du feu). Avec l’écosystème musical qu’elle a su créer au fil des ans, la ville natale d’Ambroise Thomas et de Gabriel Pierné peut envisager sa démarche avec confiance.

Alain Cochard
(Entretien avec Florence Alibert réalisé le 13 février 2019)

(1) lire l’interview de T. Escaich réalisée en décembre 2014 : www.concertclassic.com/article/une-interview-de-thierry-escaich-compositeur-la-gloire-de-lorchestre
(2) selon la définition du réseau Creative Cities : fr.unesco.org/creative-cities/content/creative-cities

« Piano Follies », du 26 février au 6 mars 2019
Cité Musicale Metz
www.citemusicale-metz.fr/

Photo © Christian Legay

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