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L’Enfant et les sortilèges au Centre culturel Pompidou de Vincennes – Imaginez, imaginez ... – Compte-rendu

Imaginez (il faut d’abord un gros effort, par les temps qui courent, mais essayez)… Imaginez une production d’opéra qui ne pratiquerait pas le prêchi-prêcha en vogue, qui ne chercherait pas à délivrer un message éthico-social ou à dénoncer des exactions sans grand rapport avec l’œuvre… Imaginez un spectacle lyrique où l’on ne pratiquerait la masturbation ni physique, aucun personnage n’accordant ou ne s’accordant de gâterie de ce genre, ni intellectuelle, les responsables de la mise en scène n’ayant pas longuement caressé de projet philosophico-fumeux… Eh bien, figurez-vous que cela n’a rien d’impossible, surtout dès qu’on s’éloigne des circuits habituels.
La Compagnie Ginette, fondée par de jeunes chanteurs, élèves de quelques conservatoires français (Paris, Lyon) et étranger (Vienne), propose un Enfant et les sortilèges d’une fraîcheur et d’une inventivité qui font plaisir à voir, destiné à tous les publics, et dont on espère qu’il pourra être présenté prochainement en tournée dans le plus grand nombre de lieux possibles, après une gestation contrariée par la pandémie.
 
© Sidonie Chaumette

L’imagination au pouvoir, c’est ce que nous montre la mise en scène de Pauline Jolly. Tous les personnages-objets ou animaux imaginés par Colette sont ici comme autant d’émanations de l’Enfant, et l’action semble se dérouler au gré des caprices de son imagination, non sans gommer un peu l’aspect moralisateur reposant sur le parcours Rébellion/Destruction/Rédemption. Huit chanteurs seulement, et une pianiste (Héloide Bertrand-Oléari) qui fait tout pour restituer la musique de Ravel à partir d’une réduction forcément très réductrice, le tout dans un décor limité à un cadre lumineux mobile, habilement transformé pour passer de la maison au jardin. Des costumes d’abord « neutres » auxquels des accessoires s’ajoutent pour faire apparaître les différents protagonistes, avec beaucoup d’ingéniosité et de fantaisie.
 

© Sidonie Chaumette 

Pour une troupe de jeunes artistes, l’avantage de L’Enfant et les sortilèges est d’offrir à chacun une occasion de briller, sans que nul ne soit perdant. Aux côtés de l’Enfant percutant d’Antonine Vernotte, on remarque ainsi les belles prestations de Camille Chopine, Princesse féerique et Chatte sensuelle, ou de Juliette Nouailhetas, Ecureuil émouvant. Les talents de danseur d’Ambroise Divaret sont à sollicités à très juste titre, mais pourquoi lui avoir confié le rôle du Pâtre, normalement destiné à une voix féminine ? Ces quelques phrases auraient pu échoir à Céleste Ingrand, après son élégante Tasse Chinoise, ou à Marie Ranvier, au suraigu encore un peu vert dans le rôle du Feu. Cocasse Fauteuil, Max Latarjet est à l’origine du projet, tandis qu’un nouveau-venu a rejoint l’équipe en cours de route : Alexandre Jamar, à qui l’on accordera une mention spéciale pour sa triple performance comique, en Théière-boxeur, en Arithmétique-professeure au bord de la crise de nerfs, et en Reinette-crapaud buffle.

Laurent Bury

Ravel : L’Enfant et les sortilèges. Vincennes, Centre Culturel Pompidou, mercredi 9 février ; prochaine représentation : vendredi 11 février 2022 (sur réservation ; libre participation au concert) www.vincennes.fr/agenda/conservatoire-lenfant-et-les-sortileges-de-maurice-ravel

Photo © Sidonie Chaumette

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