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L’Egisto, premier opéra des gens ordinaires - Une interview de Jérôme Correas, chef de l’ensemble Les Paladins


Temps fort de la saison 2011- 2012 des Paladins de Jérôme Correas, L’Egisto du tandem Marazzoli – Mazzocchi fut le premier opéra donné en France, en 1646. Une œuvre étonnante, sur laquelle les musiciens et le metteur en scène Jean-Denis Monory travaillent depuis plus d’un an dans le cadre de l’Unité scénique de la Fondation Royaumont (concertclassic vous en a déjà donné un avant-goût en vidéo à partir des premières répétitions de juillet 2010). On s’impatiente de découvrir le résultat final, les 29 et 30 septembre et le 2 octobre au Théâtre des Louvrais de Cergy-Pontoise, avant une tournée qui mènera l’ouvrage à Paris (Théâtre de l’Athénée) fin octobre, puis Massy, Herblay et Poissy en début d’année prochaine.

Quelle place L’Egisto occupe-t-il dans l’histoire de l’opéra ?

Jérôme CORREAS : Contrairement à ce que l’on a longtemps cru le premier opéra exécuté en France (en 1646) n’est pas L’Egisto de Cavalli, mais celui de Marco Marazzoli et Vigilio Mazzocchi. Les musicologues connaissaient leur ouvrage sous le titre Chi soffre speri. Le fait qu’il a été le premier opéra représenté en France m’a donné envie de le découvrir. L’œuvre est singulière car elle se compose pour les 9/10èmes de récitatifs. J’ai eu envie de prendre un pari et de monter un spectacle où il y a très peu d’airs et dont tout l’intérêt se fonde sur les récitatifs. Je travaille beaucoup sur le parlé-chanté ; L’Egisto m’a permis de me lancer dans une aventure, un travail plus en profondeur encore pour imaginer ce que pouvait être le parlé-chanté à l’époque. Je me suis dit que si les gens s’embarquaient alors pour un long spectacle avec principalement du récitatif cela avait un intérêt et était très divertissant. Royaumont m’a permis de prendre du recul pour mener à bien la préparation de cet Egisto.

Comment s’est organisé ce travail de longue haleine ?

J. C. : Nous avons eu une session de dix jours en juillet 2010, une autre de même durée en avril dernier, puis une session d’une semaine en juillet et nous disposons de quinze jours de préparation avant la première du spectacle le 29 septembre à Pontoise. Nous avons donc pu tenter plein d’expériences en ce qui concerne la déstructuration du discours : ne pas faire ce qui est écrit, mais plutôt ce qu’un Italien ou une Italienne dirait dans les rythmes de la parole plutôt que ceux des notes. Il s’agit d’une écriture très simple et très statique, dirais-je, statisme qui donne justement la liberté de changer les rythmes en fonction de ceux de la parole. Aucune écriture ne peut rendre la liberté de la parole ; l’idée était donc de travailler sur cette différence entre ce qui est écrit et ce qui peut se dire, de façon à trouver la liberté, la flexibilité. Des exclamations remplacent parfois les notes. Les écrits de l’époque invitent par ailleurs à varier la vitesse de déclamation. Passer du parlé au chanté, de la voix de tête à la voix de poitrine : autant d’expériences que l’on n’a finalement jamais le temps de mener et que, compte tenu du calendrier, j’ai pu entreprendre sur L’Egisto. Je considère ce spectacle comme un pari. Je dois beaucoup me battre contre les habitudes « classiques » des chanteurs pour revenir à une démarche beaucoup plus populaire ; savoir crier, etc. C’est très important pour le chanteur et le musicien d’entrer dans une telle démarche ; de reconquérir une certaine liberté dans la façon de créer la musique. Cette œuvre s’y prête parfaitement.

Comment Jean-Denis Monory, le metteur en scène, a-t-il abordé l’esprit si particulier de l’ouvrage ?

J.C. : J’ai fait appel à Jean Denis Monory et à Françoise Denieau, la chorégraphe, en leur précisant que ce qui m’intéressait chez eux c’était évidemment leur expérience dans le domaine baroque mais aussi tout ce qu’ils avaient l’un et l’autre fait par ailleurs. Jean-Denis a fait du mime, de la commedia dell’arte, du théâtre contemporain. Françoise a aussi fait de la danse contemporaine. Cette multiplicité d’expériences permettait de proposer non pas une reconstitution, mais une création qui s’appuie sur un vocabulaire ancien. Jean-Denis a imaginé une action qui se déroule à la campagne. L’Egisto est une œuvre qui, pour la première fois, se passe à son époque ; pas de héros, ni de dieux, mais des gens pauvres.

Le premier opéra « vériste » en quelque sorte ?

J.C. : Oui, un peu. On considère que c’est le premier opéra bouffe, mais c’est surtout le premier à mettre en scène des gens ordinaires. J’ai trouvé cela très intéressant par rapport à tout ce qui se fait au XVIIe siècle, où l’on ne trouve que héros ou gens très importants. Dans L’Egisto on a affaire à des gens un peu « crottés ». Jean-Denis a construit une mise en scène avec des matières très simples : de la terre, du bois. Chantal Rousseau a imaginé des costumes aux couleurs très vives. Le spectacle est empreint de simplicité, avec une gestuelle très physique, reliée à la terre, très éloignée de la gestuelle baroque telle qu’on se la représente, sauf dans le prologue où l’on a affaire à des nymphes plus sophistiquées. Cet épisode mis à part, le caractère terrien et rustique domine. Nous y tenions tous beaucoup !

Propos recueillis par Alain Cochard, le 16 septembre 2011

Marco Marazzoli et Vigilio Mazzocchi : L’Egisto

Ensemble Les Paladins, dir. Jérôme Correas

Jean-Denis Monory (mise en sc.)/Françoise Denieau (chorég.)

29, 30 septembre et 2 octobre 2011

Théâtre des Louvrais/ Cergy-Pontoise

19, 21, 22, 23 octobre 2011

Théâtre de l’Athénée/ Paris

3 février 2012

Opéra de Massy

10 février 2012

Théâtre Roger Barat/Herblay

16 février 2012

Théâtre de Poissy

Rens. : www.royaumont.com

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Photo : Gisto Furielli

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