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Lear au Palais Garnier – Théâtre de la cruauté – Compte-rendu

Aribert Reimann (né en 1936) est, avec Ligeti, Messiaen et Eötvös, l’un des rares compositeurs qui aura eu la chance d’assister au succès de l’une de ses œuvres : dès sa création en 1978 à Munich son Lear s’est inscrit au répertoire. L’Opéra de Paris a certes attendu 2016 pour programmer l’ouvrage (toutefois donné en version française, en 1982 à Garnier, sous la baguette de Friedemann Layer et dans une mise en scène par Jacques Lassalle), mais il l’a fait en y mettant les moyens et avec une attention particulière.

Trois ans après la véritable création au Palais Garnier, il est tout à fait admirable de retrouver dans la fosse Fabio Luisi (également à la Bastille pour diriger Don Carlo), chef aussi rigoureux dans son approche qu’intransigeant dans sa lecture. Celui-ci s’attache à rendre cette partition aride et éprouvante, clairement inscrite dans le droit fil du courant dodécaphonique, audible, et à maintenir un discours où les rares moments de calme et d’harmonie trouvent leur place dans un drame aux accents assourdissants.
Pratiquement inchangée par rapport à l’originale, à l’exception notable d’Evelyn Herlitzius qui succède à Riccarda Merbeth dans le rôle de Goneril, la distribution défend avec rage et conviction la mise en scène de Calixto Bieito, très proche du livret, sans chercher à concurrencer la puissance shakespearienne ou la déflagration musicale voulue par le compositeur. En accord avec le climat de désolation qui accompagne la chute de Lear, le décor constitué de lattes de bois noir (Rebecca Ringst) qui retiennent les personnages, puis se disloquent tel un échafaudage secoué par une tempête, offre un cadre suffisamment oppressant pour ne recourir à aucune provocation superflue.

 Erika Sunnegårdh (Regan) et Bo Skovhus (König Lear) © Bernd Uhlig - OnP
 
Malgré la qualité des interprètes réunis au plateau, tout repose sur le rôle-titre – conçu à la demande de Dietrich Fischer-Dieskau – et en l’occurrence sur les épaules du baryton danois Bo Skovhus. D’abord brutal et intransigeant, son personnage perd pied avant de sombrer dans le dénuement et la folie, dépouillé de tout, abandonné et misérable, monarque réduit à errer demi-nu, chassé de son trône, de son peuple et des siens. S’il n’a toujours pas l’âge de Lear, son pas, ses gestes et sa détresse physique compensent largement ce hiatus, sa voix toujours solide subissant elle aussi un traitement particulier pour traduire le poids des ans. Pour autant, et il n’en est pas responsable ; la musique par sa rudesse et son agressivité permanente prive son interprétation de toute émotion et ce même au moment de disparaître. Britten qui aurait décliné la proposition faiteåpar Dietrich Fischer-Dieskau en 1968, était le compositeur rêvé pour briller dans ce registre.
Dans le rôle du traître Edmund, Andreas Conrad se révèle vocalement impressionnant, tout comme l’Edgar du contre-ténor Andrew Watts, tandis que Gidon Saks le Roi de France, Kor-Jan Dusseljee le Comte de Kent et Michael Colvin le Duc de Cornwal semblent s’identifier totalement à leurs personnages. Annette Dasch n’a pas toujours la souplesse vocale requise, mais la tessiture de Cordelia (crânement assumée à sa création par l’épouse de D. Fischer-Dieskau, Julia Varady) est très escarpée, sa sœur interprétée par Erika Sunnegårdh ne recule devant aucun des écarts qui émaillent sa partie, Evelyn Herlitzius semblant se délecter de l’hystérie dans laquelle se réfugie la terrible Goneril, un rôle où l’on aurait aimé entendre Gwyneth Jones à sa grande époque.
 
François Lesueur
Reimann :  Lear – Paris, Palais Garnier, 21 novembre ; prochaines représentations les 27, 30 novembre, 4 & 7 décembre 2019 // www.concertclassic.com/concert/lear
 
Photo : Bo Skovhus (König Lear) et Annette Dasch (Cordelia) © Bernd Uhlig
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