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Le Temps d’Aimer la Danse à Biarritz - Un grand champ d’investigations - Compte-rendu

Pourquoi danse-t-on, pour qui, comment, à quelle nécessité obéit-on en bougeant notre corps, du spectateur qui bat des mains en se balançant après le spectacle de danse basque, à la sublime ballerine chargée d’incarner Giselle, ou aux pieds nus et aux torsions chaotiques des danseurs contemporains, à leur sincérité touchante ou agaçante ? Rien dans tout cela ne semble avoir de vrai point commun, de source identique : les uns sont spectacles, les autres, pures  recherches dynamiques, les autres, essais passionnés pour fracturer nos enveloppes cadenassées, les autres enfin se posent en diktats esthétiques qui se veulent sublimé d’un mouvement dégagé de ses nécessités physiques, sans parler des simples réponses aux rythmes.
 
Tout cela, c’est le travail du Festival Le Temps d’Aimer la Danse, à Biarritz, qui pose toutes ces questions, en résout quelques unes et donne à voir  de multiples approches du corps lorsqu’il se veut langage expressif, le tout dans une ambiance de simplicité, de joie, d’esprit de découverte, de curiosité du public, les spectacles étant reliés par nombre de conférences, d’expositions, de manifestations face à la mer et pour finir, cette année, d’un bal orchestré par les danseurs de Thierry Malandain, maître des lieux, puisqu’il dirige le Festival depuis 2009. Et qu’il fête en plus cette année ses vingt ans d’installation au CCN, autrement dit le Malandain Ballet Biarritz, lequel a porté partout le renom de la ville et du chorégraphe.

Le Aspen Santa Fe Ballet © Stéphane Bellocq

Inutile donc de trop décrier telle ou telle troupe, ou petit groupe qui irrite ou laisse indifférent malgré sa bonne volonté, car l’important est ailleurs : dans l’esprit général qui se dégage de toutes ces confrontations et ne vise qu’à faire aimer la danse et à en dire l’intelligence, la profondeur et les ambitions, bref la nécessité. Savoureux donc de confronter des mondes aussi opposés que celui des danseurs de l’Aspen Santa Fe Ballet, aux anatomies agressivement musculeuses, aux corps provocants, aux déhanchements kitchissimes, à l’érotisme étalé, tout cela en une gestique qui n’a que peu de sens mais beaucoup de rythme et d’allant, même si les musiques, notamment le Concerto pour violon de Sibelius, utilisé pour la première pièce, 1st Flash, du Finlandais Jorma Elo, semblait, malgré les concordances de nationalités, bien peu en rapport avec les mouvements, comme noyés dans le vide.
 
A l’opposé donc, la finesse éthérée du mythique Giselle revu par Kader Belarbi et présenté par le Ballet du Capitole, ou les recherches expérimentales et hautement intellectuelles de deux grandes dames de la danse, l’immémoriale Carolyn Carlson et la jeune retraitée Marie-Agnès Gillot, confrontant leurs univers en ouverture du festival. Car celui-ci compte des pionniers, mais aussi des stars, et notamment le poétique Sidi Larbi Cherkaoui, ici à l’œuvre avec son petit groupe pour Fractus, en marge de ses activités de directeur du Ballet Royal des Flandres, ou la rigoureuse autant que fantasque Béatrice Massin, en compagnonnage avec Pierre Rigal pour faire danser cinq jeunes Talents distingués par l’Adami.
 
Pas de festival sans une bonne bouffée de danse israélienne, ici avec Yuval Pick, directeur du Centre Chorégraphique de Rillieux-la-Pape, mais qui garde puissamment la marque de ses origines : un magnifique spectacle pour trois puis quatre danseurs, qui explore en une savante alchimie la confrontation des pulsions qui nous agitent : avec une liberté, une précision musicale  – il faut dire que sa première pièce, PlayBach (photo), mêle plusieurs œuvres du Cantor –, une force surprenante dans le non-dit des corps autant que leur explosion, qui bouleverse. D’autant qu’il a des interprètes exceptionnels, notamment Madoka Kobayashi, lutin capable d’une véritable dissection des gestes sans pour autant perdre de son potentiel de charme, et l’impressionnant Adrien Martins qui scande l’espace de son grand corps comme un meneur de jeu, parvenant à équilibrer les forces en présence. Remarquable.

Martin Zalakain par la compagnie Argia Dantza Taldea @ Stéphane Bellocq
 
Monde encore plus étrange et lointain encore, celui qui touche les basques au cœur, et qu’a patiemment reconstitué toute sa vie durant l’ethnologue et chorégraphe Juan Antonio Urbeltz, même si le non initié reste un peu à la porte de ce Martin Zalakain, une sorte de pièce dite et dansée par la compagnie Argia Dantza Taldea, qui conte l’histoire d’un jeune héros basque, mort au cours des tourmentes des guerres carlistes. Tout est scandé avec une vigueur contagieuse, parfois émouvante par sa sincérité, et offre un panorama de pas qu’on prend plaisir à confronter. Et dont le public local se régale. On regrette juste que la musique choisie, même si l’on n’est pas connaisseur émérite des traditions basques, laisse à l’évidence percer ici et là des emprunts à bien d’autres mondes, ce qui trouble un peu. Mais la troupe et son directeur ont la foi, et elle a soulevé la salle !
 
Jacqueline Thuilleux

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Biarritz, Festival Le Temps d’Aimer la Danse, les 8 et 9 septembre. Représentations jusqu’au 16 septembre 2018. www.tempsdaimer.com

Photo © Stéphane Bellocq

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