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​Le Rossignol de Stravinsky et Les Mamelles de Tirésias au TCE – Chantons sous le sperme – Compte-rendu

 

Des ballons de baudruche qui s’envolent en guise de seins de Thérèse, c’est ce qu’Apollinaire voulait dans son texte (même s’il ne prévoyait pas que lesdits ballons iraient se promener parmi le public, comme c’est le cas ici), mais un grand vagin en néon tombant des cintres, puis un phallus tout aussi lumineux produisant une abondante quantité de mousse, il fallait Olivier Py pour nous les montrer dans Les Mamelles de Tirésias. Après tout, dans un opéra où chacun est libre de choisir son identité de genre – « c’est bien plus drôle quand ça change », y chante-t-on – et où l’on peut produire quarante mille quarante neuf enfants en un seul jour, le sexe est forcément au premier plan (sans oublier les différentes expressions plus ou moins argotiques qui renvoient à la chose, même si on ne les comprend plus toujours aujourd’hui).
 
Les Mamelles de Tirésias © Vincent Pontet

Et comme il l’a déjà fait pour Carmen, par exemple, le metteur en scène situe son spectacle dans un cabaret, avec grand escalier que les uns et les autres auront bien descendu. Cette fois, pas de va-et-vient constant entre la scène et l’envers du décor :  toute la première partie de la soirée se passe côté coulisses (Le Rossignol), où un acteur agonise et finit par revivre tandis que les autres jouent Les Mamelles de Tirésias, et la deuxième côté scène, Les Mamelles devenant une sorte de comédie musicale, ce qui est assez cohérent avec la forme de revue à numéros adoptée par Poulenc – et d’Olivier Py on dira, comme du Gendarme imaginé par Apollinaire, « le music-hall et le grand bar n’ont-ils pas pour lui plus de charmes que repeupler le Zanzibar ? » Jean-Christophe Averty passait jadis à la moulinette les baigneurs en celluloïd, mais les bébés sont ici encore bien plus maltraités, ce qui relativise le message nataliste post-guerre mondiale.

Après Dialogues des carmélites en 2013, puis La Voix humaine en 2021, Olivier Py complète en beauté la trilogie des œuvres scéniques de Poulenc. Tant pis pour ceux qui attendaient de la chinoiserie dans Le Rossignol, le parfum du conte n’en est pas moins préservé grâce au personnage de la Mort qui rôde tout au long du spectacle, d’abord dans ces coulisses, puis sur la scène des Mamelles où elle incarne la Marchande de journaux.
 

Le Rossignol © Vincent Pontet

La décision de réunir ces deux œuvres assez éloignées dans le temps  et dans l’esprit – même s’il s’agit dans les deux cas du « premier opéra » de chaque compositeur – vient apparemment de Sabine Devieilhe elle-même, sur les épaules de qui le spectacle repose en partie. La performance n’est pas mince, en effet, d’enchaîner les deux rôles-titres : on pouvait se douter que le Rossignol lui irait comme un gant, et qu’elle saurait conférer à son chant toute l’émotion souhaitable, mais qu’en serait-il de Thérèse/Tirésias ? La soprano, habituée aux personnages diaphanes comme Lakmé, aurait-elles les ressources nécessaires à se changer, ici plus que jamais, en meneuse de revue ? Aurait-elle la voix d’une Denise Duval ? Eh bien oui ! Le grave n’est à aucun moment pris en défaut, et l’actrice déploie un tempérament qu’on ne lui soupçonnait pas.
 

Les Mamelles de Tirésias © Vincent Pontet

Et autour d’elle, une bien belle distribution a été réunie : la Mort saisissante de Lucile Richardot, l’élégante Cuisinière de Chantal Santon Jeffery, le Pêcheur poétique de Cyrille Dubois, qui se fait ensuite drolatique Lacouf et Journaliste, l’hilarant Gendarme de Victor Sicard, d’abord Bonze, ou l’excellent Chambellan/Directeur de théâtre Laurent Naouri, dont se confirme décidément la jeunesse vocale retrouvée. Si Rodolphe Briand se taille un beau succès en Fils et en Grosse Dame, il est dommage que Francesco Salvadori en Presto n’ait pas tout à fait la clarté de diction de ses collègues. Reste le cas du Mari, rôle ambigu, écrit par Poulenc pour ténor ou baryton, son créateur, Paul Payen étant précisément à cheval entre les deux tessitures : après avoir été un émouvant Empereur, Jean-Sébastien Bou peut heureusement compter sur sa présence et son expérience pour les moments un peu trop ténorisants pour lui.
 
François-Xavier Roth © Marc Allen

Dans la fosse, François-Xavier Roth se montre plein de délicatesse et d’imagination pour recréer les sortilèges du Rossignol (le choix de la version française est certes plus confortable pour l’auditeur, mais la traduction Calvocoressi n’a pas le naturel de l’original russe). Poulenc exige tout autant de doigté, sinon davantage, pour trouver le juste équilibre entre la bouffonnerie et le faux sérieux, et certains tempos pourraient ici être discutés, l’Ensemble Aedes ayant parfois semblé en léger décalage dans les moments les plus rapides, notamment au final du premier acte. Broutilles, cependant, qui n’enlèvent rien à la réussite de cette soirée, ni à l’enthousiasme d’un public venu nombreux pour applaudir un spectacle auquel on souhaite le même succès que les Carmélites du même Olivier Py.

Laurent Bury

Stravinsky : Le Rossignol / Francis Poulenc : Les Mamelles de Tirésias – Paris, Théâtre des Champs Elysées, 13 mars (2e repr.) ; prochaines représentations les 15, 17 et 19 mars // www.theatrechampselysees.fr/saison-2022-2023/opera-mis-en-scene/le-rossignol-les-mamelles-de-tiresias
 
Photo © Vincent Pontet
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